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Tamerlano : Casse-tête vivaldien à Beaune

Tamerlano Ovvero (ou) Bajazet ? apporte sa réponse au cours d'une de ces flamboyantes soirées qui font le succès de plus en plus grandissant du Festival International d'Opéra Baroque et Romantique de Beaune.

Si l'on ne sourira jamais assez des livrets labyrinthiques des opéras de Vivaldi où la plus ensorcelante des musiques nappe trois heures de soli sentimentaux venant buter sur un immanquable coro final le plus souvent d'1 minute 39, que dire lorsque le casse-tête doit affronter la structure compositionnelle de l'œuvre elle-même ! Vivaldi se disait fier de 90 opéras sur 30 ans, un corpus surhumain, mais qui ne pouvait se justifier que par la triple cohabitation d'œuvres originales, d'œuvres auto-plagiées et de cette déconcertante pratique en vogue : le pasticcio. À ce dernier avatar correspond le Tamerlano Ovvero Il Bajazet donné à Beaune en cette 34e édition. Créé à Vérone en 1735 par un Vivaldi en quasi-fin de course, cet opéra comportait 22 airs dont 13 seulement étaient du Prêtre roux ! Pris en tenaille entre l'engouement de l'époque pour les castrats napolitains et sa propre éthique, Vivaldi, non sans une certaine ironie, avait fait emprunt à d'autres compositeurs (4 airs de Giacomelli, 3 de Hasse, 1 de Broschi, 1 d'Orlandi) pour camper les « envahisseurs » du livret (Tamerlano et Irene), réservant sa musique aux héros (Bajazet et Asteria), les personnages secondaires naviguant, quant à eux, d'un style à l'autre. Quelques siècles plus tard, l'œuvre nous parvient délestée de quelques numéros. À l'instar de Fabio Biondi qui, dans son enregistrement Virgin de la même œuvre (mais intitulée Bajazet), a comblé les manques par des compositions issues d'autres opéras du maître, Noally, n'hésite pas à glaner aussi chez d'autres compositeurs, faisant de ce Tamerlano un étrange objet entre folle (vaine ?) virtuosité et sincère lyrisme tel qu'annoncé dès le second thème de la magnifique Sinfonia d'ouverture ou dans le premier air d'Idaspe, tous deux bien de Vivaldi.

L'hybride de cet opéra se retrouve dans une distribution aux personnalités des plus variées. D'un côté les flamboyants : , entre pose et insolence, au risque d'étranges stridences, est Tamerlano tandis que , tragédienne affectée, est une Irene spectaculaire aux aigus un rien bridés dans un rôle à l'ambitus exigeant. Ana Kasyan, est entre les deux, vocalisant avec aisance, très touchante dans son premier air, tube vivaldien absolu, ne rechignant pas à la performance peu après ; elle est un Idaspe convaincant. En Asteria, que chanta Anna Giro, l'égérie du compositeur, déroule la beauté d'un timbre paisible que d'aucuns trouveront peut-être peu engagé au regard des affects traversés par le personnage mais si l'on était là pour suivre le fil narratif d'un opéra, cela se saurait. C'est l'excellence de la fête vocale qui prime à Beaune chez un auditoire vite mis en poche par la cerise sur le gâteau d'un aigu bien envoyé. Fête vocale donc, d'où la frêle , fraîchement cueillie dans le dernier Jardin des Voix de Sir William, pourrait être balayée d'un souffle de ces gosiers littéralement transportés par l'énergie pulsante de la musique. Il n'en est finalement rien et son Andronico ému touche au cœur. est somptueux, bien sûr, et l'on ne peut que déplorer que Vivaldi fasse mourir Bajazet en coulisses. Le tout jeune ensemble , fondé en 2014 à Beaune pour un récital avec Gaëlle Arquez (originellement prévue en Irene ce soir) et dirigé de l'archet par (ex-violon solo pour Minkowski), idéal de son malgré un instrumentarium assez mince, ne faillit jamais dans la relance de l'intérêt. Les sonorités obtenues lors des moments d'émotion pure frôlent l'apesanteur. Viva Vivaldi… Ovvero Giacomelli et Cie !

Crédit photographique: © Phil Leglise

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