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Le Triptyque de Puccini à Metz, pari réussi pour Paul-Émile Fourny

Traités pour leurs qualités intrinsèques mais aussi pour les différents thèmes qui les relient, les trois volets de l'avant-dernier ouvrage de Puccini gagnent résolument à être présentés ensemble. Réussite totale pour un projet ambitieux et innovant.

Les occasions de voir ensemble les trois volets du Triptyque de Puccini sont rares, et il piquant de noter que le soir de la représentation messine, on donnait à quelque soixante kilomètres au sud de la ville le diptyque Ravel/Puccini chroniqué dans nos colonnes. On saura donc gré à l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole d'avoir fait ce difficile pari même si d'autres assemblages, nous l'avons vu, fonctionnent à merveille. Pari gagné en tout cas, à en croire l'enthousiasme d'un public visiblement conquis en dépit de la longueur inhabituelle de la soirée. La force du spectacle réside en partie dans le souci de trouver les fils conducteurs reliant les trois volets du chef d'œuvre de Puccini, unis par des thématiques communes plus ou moins perceptibles : l'amour coupable, la vie et la mort, la lumière et l'obscurité, la jeunesse et la vieillesse, la liberté et l'enfermement, l'intrusion d'éléments extérieurs, notamment.

Un des partis pris de la mise en scène de consiste à faire de l'eau qui entoure le plateau incliné utilisé pour les trois actes un dénominateur commun. Cela est sans doute plus évident pour la Seine du Tabarro, où Michele finit par faire mourir Luigi par noyade plutôt que par arme blanche. Dans Suor Angelica, l'eau est vue comme source de vie – on pense au jaillissement nimbé d'or de la fontaine – mais également comme signe de mort, puisque c'est elle qui fournit le poison que l'ange apporte à Angelica. La symbolique est peut-être plus obscure dans Gianni Schicchi, situé dans une cave de brocanteur accessible par les égouts où des personnages décalés et hauts en couleur « lavent leur linge sale » en famille. On en appréciera autant le comique inénarrable de cette transposition presque outrancière, dans laquelle des personnages éminemment caricaturaux, inspirés de l'esthétique d'un Tim Burton, finissent par être attachants dans leur monstruosité et leur humanité blessée.

Si la mise en scène cherche à privilégier l'unité, chaque ouvrage n'en est pas moins traité selon les codes génériques qui lui sont propres. Le sordide mélo du Tabarro, solidement ancré dans le réalisme associé à l'école vériste, se voit ainsi amplifié par le meurtre de Giorgetta, étouffée par Michele. Les images de vie qui ponctuent ce volet (les deux amants, le vendeur de chansonnettes, les agissements des Tinca, Talpa et autres Frugola, la passerelle amovible qui semble symboliser tous les rêves impossibles et espoirs perdus) n'en sont que plus poignantes. Pour le deuxième volet, le mysticisme de Suor Angelica est accentué par le choix du dépouillement et de l'épure. Seuls quelques accessoires, réduits à des draps froissé, pliés et dépliés selon le sens qu'on leur donne, meublent un plateau criant de vérité dans sa nudité. Quelques images fortes, comme l'apparition rêvée des parents, de l'amant puis de l'enfant d'Angélique, resteront gravées dans les mémoires. Dans Gianni Schicchi, ce sont toutes les ressources de la comédie à l'italienne qui sont mises à profit, avec tout ce qu'il faut de second degré et d'auto-parodie – Puccini se moquant de Puccini faisant du Puccini… – pour passer de délectables instants. La farce reprend ses droits.

Sur le plan musical, c'est une fois de plus l'esprit d'équipe qui aura triomphé, même si certaines individualités sont bien sûr à distinguer. Dans le double rôle de Michele et de Schicchi, s'impose ainsi comme un solide baryton au chant émouvant et expressif. , jeune premier dans Il Tabarro et dans Gianni Schicchi, a tout le loisir de faire valoir la solarité de ses beaux aigus, même si la voix ne se stabilise vraiment qu'en fin de soirée. Sur le plan scénique, le rôle du débardeur Luigi, ainsi que de ce Rinuccio déjanté et auto-parodique, lui conviennent mieux que les Faust et Roméo d'il y a quelques saisons. Sollicitée pour les trois volets du triptyque, est sans doute vocalement plus à son affaire dans les bavardages et les lamentations de La Frugola que dans les éclats caractériels de Zita ou dans les élans presque sadiques de la zia principessa. De cette dernière elle dessine un portrait scénique hallucinant, silhouette fantasmagorique appuyée sur deux cannes qui évoquerait presque un oiseau de proie. Des trois prime donne de la soirée, on préfèrera sans doute le soprano puissant de , rompu aux nobles phrasés et aux nuances les plus subtiles. Mais ni la vaillante et émouvante , ni la fragile et délicate , ne déméritent dans leurs rôles respectifs. Saluons une fois encore l'ensemble de la troupe, dont beaucoup sortent des chœurs de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole, pour leur engagement vocal et théâtral.

Dirigé avec précision et fermeté par le chef espagnol , l'Orchestra national de Lorraine apporte aux luxuriantes partitions de Puccini toute son expérience et tout son savoir-faire, soulignant les mille beautés mais également le caractère innovant de l'orchestration de Puccini. Une soirée particulièrement réussie, donc, autant sur le plan théâtral que musical.

Crédit photographique : Andrey Zemskov, Antoine Normand, et (photo 1) ; (photo 2) ; Thomas Roediger, Aurore Weiss, Cécile Dumas-Thiollet, , Julien Belle, , Andrey Zemskov et Antoine Normand (photo 3) © Arnaud Hussenot – Metz Métropole

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