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Sensualité, lyrisme et poésie pour le Poppée à Vichy

Les 450 ans de la naissance de Monteverdi sont l'occasion pour les grandes maisons d'opéra de proposer de nouvelles productions de ses œuvres les plus célèbres : après Il ritorno d'Ulisse in Patria aux Champs-Élysées, et avant l'Orfeo à l'Opéra Royal de Versailles par les Arts Florissants, voici donc la recréation de L'Incoronazione di Poppea produite par l'Opéra de Lyon et coréalisé avec l'Opéra de Vichy. À la sortie de cette première, nous vous le confirmons : c'est une réussite !

Dans L'incoronazione di Poppea, chaque action et chaque péripétie sont élaborées pour la musique à travers un foisonnement d'affetti que tout le talent de Monteverdi, fort de ses nombreuses trouvailles lyriques au fur et à mesure des années qui ont précédé la composition de cet ouvrage, sait pleinement extraire. , l'un des plus célèbres spécialistes de l'esthétique baroque (décédé l'année dernière, il était le fondateur du centre de musique baroque de Versailles et membre de l'Académie française), en a même conclu un dogme : « Dès la naissance de l'opéra (la confrontation [du livret du Couronnement de Poppée] avec le médiocre livret d'Ulysse est a contrario éclairante) apparaît cette loi universelle : pas de bon opéra sans un bon livret, de même qu'il n'y a pas de bon film sans un bon scénario. »

C'est ainsi que l'un des meilleurs livrets d'opéra donne l'occasion au maître italien (même si l'attribution complète de cette œuvre est contestée par plusieurs musicologues qui avancent une double paternité avec , principal successeur de Monteverdi à Venise) de mettre en scène pour la première fois « l'humanité historique. » Les dieux ne sont désormais plus les protagonistes principaux mais apparaissent ici sous la forme d'allégories. Monteverdi s'affranchit des conventions (l'ornementation était réservée aux dieux ; elle est ici également utilisée pour de simples hommes) et relie l'émotion à la forme musicale. De même, les héros sont présentés selon de multiples perspectives les rendant plus consistants et plus complexes. Chaque souffrance et chaque espoir sont exprimés, révélant des personnages profondément humains.

C'est ainsi que Poppée apparaît amoureuse, quelquefois manipulatrice, tantôt fragile, parfois conquérante. Presque irréelle, , toute en délicatesse et en assurance, est tout simplement sublime. Bénéficiant d'une direction d'acteurs très travaillée, elle se meut telle une sensuelle ballerine, ses bras et ses mains étant constamment en mouvement avec grâce et volupté, alors que ses déplacements sont généralement limités. Dans sa robe blanche, simple mais qui lui va à ravir, elle retranscrit admirablement, avec noblesse et mesure, chaque trait de personnalité de son héroïne. Dans Speranza tu mi vai, les mélismes ornementaux sont fluides et légers alors que les notes martelées du puissant stile concitato en mode ionien, transforment littéralement la jeune femme en un être dominateur et presque démoniaque. Grande séductrice à travers les demi-tons expressifs de Signor, deh, non partire, languissante à souhait dans ses soupirs (Idolo del cor), elle arrive à atteindre une fusion musicale parfaite avec dans le rôle de Néron (initialement composé pour un castrat, il est aujourd'hui chanté par un soprano). Le duo d'amour Non più s'interporrà noia o dimora est d'une prodigieuse beauté lyrique. Alors qu'elle campe un Néron juvénile tout autant qu'autoritaire aveuglé par sa passion amoureuse envers Poppée, révèle sa grâce vocale principalement dans les duos avec sa partenaire : l'entrelacement des deux voix de soprano parfaitement équilibrées symbolise à merveille les étreintes des deux amants. Le célèbre duo Pur ti miro, l'un des plus beaux duos d'amour de toute l'histoire de l'opéra (si ce n'est le plus beau !) déploie une musique admirable qui magnifie un horrible dénouement : les deux héros machiavéliques célèbrent avec délice la réussite de leurs sombres stratagèmes. C'est à ce moment que la qualité de la mise en scène de Klaus Michael Grüber présentée au festival d'Aix-en-Provence en 2000, est à son paroxysme : tout y est suggéré, tout y est sublimé.

complète parfaitement le triangle amoureux en faisant preuve d'autant de force dans la lamentation d'Octavie que celle nécessaire à Pénélope pour Ulysse. Dans le style du lamento en stile rappresentativo cher à Monteverdi, la mezzo-soprano est en proie à de multiples sentiments : seule (elle n'est pas accompagnée de sa nourrice dans cette version), son chant rempli de dissonances, de silences abrupts et d'intervalles exprimant la douleur dépeint l'intensité de sa souffrance alors que la fureur reprend ses droits lorsqu'elle évoque les deux amants.

Même les seconds rôles sont riches de contradictions : alors qu' s'épanouit pleinement dans le rôle de la vieille nourrice Arnalta, est un philosophe parfaitement stoïque qui dispose d'une virtuosité sans faille dans les figures de style grâce à une voix large, souple et agile et avec une tenue de souffle parfaite. De même, Drusilla est incarnée par une pétillante et dotée d'une personnalité bien affirmée (elle assure également le rôle de Poppée en alternance). Rares sont les épisodes polyphoniques mais le trio des Famigliari de Sénéque par , et Aaron O'Hare est brillamment exécuté. Les entrées successives sont nettes, déployant une puissance architecturale évidente de ce madrigal. Seul dans la peau d'Ottone souffre d'un manque d'émission que son engagement dramatique et son aisance scénique comblent en partie.

Ces antinomies se retrouvent également dans la fosse où, sous la direction de Sébastien d'Hérin au clavecin, les instruments historiques de l'orchestre résonnent. Même si les ornementations du cornet à bouquin sont parfois approximatives dans la première sinfonie, l'atmosphère douce-amère est permanente, les colorations instrumentales variant en fonction des situations dramatiques.

Crédits photographiques : Le Couronnement de Poppée © Jean-Louis Fernandez

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