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Pierre Fournier, respect absolu de l’esprit et du style

Deutsche Grammophon, Decca et Philips font à l'honneur d'une belle intégrale qui complète celle plus modeste sans doute (7 CDs) mais d'égale valeur de Warner Classics rassemblant sous la série « Icon » l'ensemble des gravures EMI plus anciennes du grand violoncelliste français, dans lesquelles se trouvent déjà les premières moutures de certaines de ses œuvres de prédilection.

Les œuvres concertantes communes aux deux albums doivent être citées, car elles constituent le cœur du répertoire qui accompagnera durant toute sa vie : Concertos pour violoncelle en si mineur op. 104 de Dvořák (ici avec et ), n°1 en la mineur op. 33 de Saint-Saëns (avec ) et n°2 en ré majeur op. 101 de Haydn (avec et Karl Münchinger) ; on peut y joindre, mais uniquement chez DG, celles de Carl Philipp Emanuel Bach, Beethoven, Bloch, Boccherini, Bruch, Couperin, Elgar, Haydn (Concerto n°1), Lalo, Vivaldi, sans compter les deux Don Quichotte de Richard Strauss avec et . De même, certaines pages de musique de chambre se retrouvent dans les deux coffrets : la Sonate « Arpeggione » en la mineur D. 821 de Schubert (ici avec Jean Fonda, le fils de ) ; les légendaires Sonates pour violoncelle et piano de Beethoven, avec Schnabel chez Warner, sont ici présentes dans les deux versions de et , cette fois complétées par les diverses Variations ; mais seul le coffret DG nous gratifient des Sonates pour violoncelle de Chopin et Grieg avec Jean Fonda, et surtout celles de Brahms avec et Rudolf Firkušný, qui sont autant de trésors…

Et c'est bien là qu'excelle particulièrement Pierre Fournier : la musique de chambre qu'il a toujours pratiquée avec passion et dévotion dès ses années d'études au Conservatoire de Paris, avec entre autres Lucien Capet et Robert Krettly, tous deux à la base des deux légendaires quatuors éponymes. Sur les 25 CDs de ce coffret, 14 sont consacrés à la musique en petit comité, et une paire de CDs aux Suites pour violoncelle solo de Bach, c'est tout dire…

Parmi ces joyaux, le sommet est très certainement atteint avec l'intégrale des Trios pour piano, violon et violoncelle de Beethoven qui réunit cette équipe de rêve – Pierre Fournier, à notre sens jamais égalée, ni même approchée… Quant aux Suites pour violoncelle solo de Bach, après 56 ans elles n'ont pris aucune ride et restent toujours la référence, indépendamment de toute considération d'authenticité baroqueuse.

D'ailleurs là où les puristes actuels pourraient faire la grimace, c'est où certaines des courtes pages avec piano sont des transcriptions, à commencer par Stravinsky envers Pergolèse (Suite Italienne d'après Pulcinella, par ailleurs recréation géniale), et parfois accomplies par le violoncelliste lui-même : beaucoup d'instrumentistes de la génération de Fournier – et même avant – excellaient dans ces petites pièces convenant idéalement à la durée du 78 tours. De même, le Concerto pour violoncelle en si bémol majeur de Boccherini nous est restitué dans la version courante à l'époque du violoncelliste allemand (1832-1903) ; le Concerto pour violoncelle, cordes et continuo en mi mineur de Vivaldi est un arrangement de sa Sonate pour violoncelle RV 40 par et ; ce dernier transcrivit également les Pièces en Concert pour violoncelle et cordes de François Couperin qui encourageait si largement les modifications d'instrumentation : aussi ne soyons pas plus catholique que le Pape envers ces témoignages d'une époque révolue où Pierre Fournier n'aurait absolument pas accepté la moindre faute de goût ni le moindre irrespect du style…

Un musicien à la sonorité constamment riche et pure, à la fine intuition musicale et la sensibilité raffinée alliée à une dignité naturelle, à l'absolu respect de l'esprit et du style de ce qu'il interprète, tous ces superlatifs, amplement mérités, caractérisent l'art infaillible de Pierre Fournier, il reste bel et bien « l'Aristocrate des Violoncellistes ».

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