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À Munich, Guillaume Tell, ce tyran

Drôle de soirée à Munich pour ce Guillaume Tell partagé entre mise en scène peu convaincante et distribution de qualité, avec un point noir.

Ce n'est pas forcément fait exprès, mais programmer le jour du second tour de l'élection présidentielle française un opéra aussi éminemment politique que Guillaume Tell montre de la part de l'Opéra de Bavière un sens de l'à-propos très enviable. Il serait cependant très mal venu d'appliquer au scrutin qui s'achevait juste avant l'entracte l'interprétation quelque peu étrange que le metteur en scène développe à partir de l'opéra de Rossini et du drame de Schiller qui lui sert de modèle.

Voilà donc que Tell n'est plus un héraut de la liberté, mais un manipulateur fanatique, qui ne craint pas le sang pour imposer ses vues nationalistes. Le meurtre de Melcthal ? C'est, bien sûr (?), l'œuvre de Guillaume lui-même, de façon à en accuser Gesler pour soulever les masses. Et Jemmy, l'innocent enfant, est déjà porteur des passions mauvaises de Guillaume, comme le montre le songe peuplé de créatures fantastiques dont Nunes peuple l'ouverture. Celle-ci est placée après l'entracte (!), qui a lieu au beau milieu du final du troisième acte quand Tell fait voler en éclats la pomme : c'est un peu ridicule, et s'il n'est pas interdit de s'intéresser aussi à l'imaginaire et aux fantasmes politiques, il serait préférable de le faire de façon moins appuyée.

Ce n'est du reste pas la seule intervention dans la partition, privée de tous ses ballets et réduite à 2 h 50 de musique, non sans dommages. Mais il est plus regrettable encore que, au nom de cette interprétation radicale, Nunes en vienne à négliger les autres protagonistes du drame, un Gesler réduit à un méchant d'opérette, et une Mathilde inexistante – les scènes où elle apparaît paraissent d'autant plus interminables qu', avec une voix engorgée et une absence constante d'expression, est très loin des exigences d'un rôle il est vrai terrible.

La mise en scène souffre aussi d'un décor constitué de longs tubes couleur métal, qui passent tout le spectacle à monter et à descendre : ils peuvent parfois simuler une forêt ou simplement structurer l'espace ; à force d'être fonctionnels, ils en viennent cependant à manquer cruellement de toute force poétique. C'est sans doute un des décors les moins intéressants qu'on ait vu à l'opéra ces dernières années : il ne parvient pas entièrement à ôter à la direction d'acteurs de Nunes toute efficacité, mais il ne l'aide pas. Car le spectacle, malgré tout, a une certaine efficacité théâtrale, qui, jointe à la qualité de l'essentiel de la distribution, rend la soirée plaisante.

 

L'orchestre, qui n'a pas une grande habitude de ce répertoire, reste discipliné et soigneux, même si on aimerait qu' ne cède pas aux faciles effets de fanfare chaque fois que possible. Mais impressionne avec un Guillaume Tell en finesse plus qu'en force, et se tire avec les honneurs du rôle le plus meurtrier de la partition : on pourrait aimer un peu plus de souplesse, et un peu plus de vaillance dans la cabalette de son dernier air, mais ce n'est que peu de chose face à un chant solide et stylé, capable de variété, de nuances et de virtuosité. Aux côté de ces deux protagonistes d'élite, l'Opéra de Bavière a réuni pour cette reprise une distribution d'un haut niveau très homogène, d'autant que tous cultivent un français beaucoup plus compréhensible qu'on aurait pu le craindre pour un soir de routine. En prime, , frais émoulu du Studio lyrique de la maison, offre un Pêcheur idéal, et on imagine bien qu'il aurait pu sauver la représentation si d'aventure il avait fallu trouver un remplaçant à : le présent n'est pas mal, et l'avenir s'annonce bien.

Crédit photographique : © Wilfried Hösl

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