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Meyerbeer au Capitole, prophète en Occitanie

Cette nouvelle production de l'opéra de Meyerbeer Le Prophète est la preuve incontestable de l'ouverture d'esprit du Théâtre du Capitole, qui n'hésite pas à sortir des sentiers battus pour clôturer sa saison. Afin de se conformer au genre, l'Opéra n'a pas lésiné sur les moyens, l'une des caractéristiques principales du grand opéra étant un visuel plus que grandiloquent, agrémenté de ballets, de grands chœurs, de machineries et d'épopées historiques.

Avec ces 200 personnes en fosse et sur scène, il est aisé de percevoir la complexité de la réalisation de ce projet. La seule réserve aurait pu être le manque d'artistes français au sein de la distribution, mais face à la grande qualité du trio vocal star, dont une époustouflante dans le rôle particulièrement difficile de Fidès, le plaisir éprouvé ne peut être que total.

Parfois, en redécouvrant sur scène une partition tombée dans l'oubli quelques années durant, voire quelques siècles, on se pose la question des raisons de cette absence. Pour Le Prophète, il aurait été trop facile de répondre à cette question par l'évolution des goûts alors que le livret de Scribe se révèle au contraire étonnamment moderne, ou par les contraintes budgétaires que connaissent aujourd'hui les maisons d'opéra pouvant donner l'idée à certains directeurs de privilégier des ouvrages lyriques plus intimes… Mais n'est-ce pas plutôt en raison de la spécificité et de la complexité du rôle de Fidès que ce grand opéra du XIXe siècle est devenu aussi rare sur la scène lyrique nationale ? Ce rôle de contralto est loin de se cantonner au second plan puisqu'il propose à son interprète pas moins de cinq airs (autant que le rôle principal). Mettre autant en avant la mère du Prophète au déficit de sa fiancée est une grande nouveauté de la part de Meyerbeer. nous offre ici une prestation extraordinaire. Vocalement, on assiste à une admirable prouesse technique tellement la tessiture demandée par la partition dépasse régulièrement celle d'une mezzo (l'ambitus va du sol bémol grave au la aigu). Peu importe qu'elle ne soit pas suffisamment grimée pour que son apparence se rapproche plus d'un rôle de mère, dans son grand air Dieu ! Comme un éclair, l'artiste américaine dispose d'une agilité et d'une aisance technique sans pareille, assumant sans sourciller à travers une écriture lyrique et virtuose composée d'ornementations et de vocalises particulièrement virevoltantes, une ligne mélodique parfaitement conduite malgré les sauts d'intervalles vertigineusement périlleux. Mais sa prestation est loin de se limiter à la technique, son intense incarnation révèle un personnage grave, empreint de grâce et particulièrement digne face aux épreuves qu'il rencontre. Après son grand air du cinquième acte, la chanteuse arrive à maintenir une belle tension dramatique face à Jean, moment où entre désespoir et tendresse, le duo émeut plus que de raison.

De son côté, , enchaîne à Toulouse sa seconde production dans le rôle de Jean de Leyde (il a incarné ce héros au Aalto-Musiktheater d'Essen il y a quelques semaines). Les qualités requises pour assumer ce rôle qui exploite régulièrement une quinte aiguë et une voix mixte idéale, ferait fuir bien nombre de ténors. Le chanteur n'hésite pourtant pas à prendre cela à bras le corps de manière si intelligente et fine, que l'émerveillement est de mise. Entre sensibilité, douceur et nuances dans sa position de fiancé follement amoureux, et une prodigieuse puissance en tant que leader d'un peuple dévoué totalement à sa personne, le ténor américain défend brillamment le style français tout comme la langue, colorisant chaque parole pour que toutes les phrases fassent sens, et cela avec une excellente diction (comme c'est d'ailleurs le cas pour l'ensemble de la distribution). Alors que cette partition pourrait faire douter un grand nombre d'artistes, ressort conquérant d'un rôle pleinement à sa mesure.

Avec le rôle de Berthe, fiancée de Jean bafouée par le Comte d'Oberthal, fait son entrée au Théâtre du Capitole. Entre sa cavatine d'entrée Voici l'heure où sans alarmes, et le coup de poignard qu'elle se donne en découvrant la véritable identité du Prophète, la soprano russe offre aux spectateurs toulousains une formidable incarnation. Forte d'un engagement total, la fraîcheur de sa voix dispose de mediums corsés et d'aigus lumineux. La fatigue se fait pourtant sentir durant le trio final, la diction se révélant moins claire et les aigus plus tendus, ne noircissant pourtant pas l'appréciation d'ensemble du travail de cette jeune artiste.

Le reste de la distribution est irréprochable à l'image des trois anabaptistes. Si chacun se singularise par son timbre de voix et son approche du rôle,   (Zacharie), (Jonas), et (Mathisen), forts de leur complémentarité, restent indissociables l'un de l'autre. Dans la peau du Comte d'Oberthal, ne manque pas d'humour, juché sur son cheval de pierre ou paré d'un habit de paysan face à son oppresseur. Son timbre clair et sa prestance naturelle lui permettent pourtant de défendre la noblesse du personnage, marquée brillamment par la qualité du costume d'Alessandro Ciammarughi.

Dans cette version raccourcie (3h40 de spectacle comprenant les deux entractes), l'intensité est maintenue tout au long de la soirée par un Orchestre du Capitole sachant calibrer sans jamais d'excès, la clarté et la délicatesse de certaines pages comme les instants plus héroïques et plus démonstratifs. Habitué des lieux, l'attention de pour un parfait équilibre entre la fosse et la scène est constante, afin de valoriser au mieux les interventions des solistes, des chœurs comme de la maîtrise, et de porter avec le dynamisme nécessaire le ballet de la scène des patineurs (une partie du ballet n'a pas été retenue dans cette production). Elément phare de cet opéra, chaque intervention du Chœur du Capitole est saisissante entre des grands chœurs prenants et des parties solistes qui mettent en lumière la belle qualité de ces chanteurs.

Bien à propos, la transposition de ce drame de au milieu du XIXe siècle, soit autour de la date de création de l'œuvre, respecte avec un naturel certain le caractère historique du livret tout en offrant des tableaux particulièrement efficaces entre la forêt de pendus décharnés de l'acte III, le couronnement du Prophète dans une cathédrale suggérée par un nombre considérable de cierges, ou bien encore les effets pyrotechniques de l'incendie final. Soutenu par l'éclairage précis de Guido Petzold, le metteur en scène sait aussi jouer la sobriété lors du sublime duo Dernier espoir, lueur dernière entre Fidès et Berthe à l'acte IV, ou dans le dernier acte quand le caveau du palais de Münster est remplacé par une toile effrayante d'un visage déformé sortant des entrailles d'une femme hurlant de douleur.

En attendant d'apprécier la « patte » de son nouveau directeur artistique, pour cette fin de saison lyrique, le Théâtre du Capitole a réussi à créer l'événement : sublime !

Crédits photographiques : Le Prophète de Meyerbeer mis en scène par © Patrice Nin

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