Anne Teresa De Keersmaeker confie avec Drumming Live une nouvelle pièce majeure au Ballet de l'Opéra de Paris. Avec les musiciens de l'ensemble Ictus, la partition de Steve Reich se déploie sur le vaste plateau de Bastille de façon magistrale.
C'est à Juliette Hilaire, véritable feu follet, qu'incombe la phrase de base, motif qui forme la matrice de la pièce Drumming, créée par la Compagnie Rosas le 7 août 1998 à Vienne. Pour la chorégraphe belge, le choix de cette partition percussive permettait de poursuivre le long compagnonnage avec le compositeur new-yorkais qu'elle avait entamé avec Fase. Composée en 1971, Drumming est une pièce fondatrice de la musique minimaliste américaine, inspirée par le séjour d'études des percussions africaines effectué au Ghana par Steve Reich. Quelques années après la création de Drumming, Anne Teresa de Keersmaeker confronte de nouveau son écriture minimaliste et musicale aux boucles infinies de la musique de Steve Reich dans Rain, créé en 2001 et confié en 2011 aux danseurs du Ballet de l'Opéra national de Paris.
En 2000, Drumming prend le nom de Drumming Live lorsque la musique est interprétée sur scène par l'Ensemble Ictus. C'est dans cette configuration qu'Anne Teresa de Keersmaeker a souhaité que la pièce soit inscrite au répertoire du Ballet de l'Opéra national de Paris, de la même manière qu'elle avait souhaité la confier aux danseurs du Ballet de l'Opéra de Lyon en 2015. Les musiciens, exceptionnels, trouvent sur le vaste plateau de Bastille un terrain de jeu d'une ampleur inégalée. Ils s'y déploient en effet en fond de scène sur un plan exclusivement horizontal, borné par deux moniteurs sur lesquels s'égrènent les minutes.
À l'avant-scène, l'expression est identique pour les danseurs qui retrouvent le style vigoureux, millimétré et infiniment libre de la chorégraphe, abordé avec Rain il y a six ans. Certains des danseurs de cette première équipe, comme Muriel Zusperreguy, Sae Eun Park ou Daniel Stokes, pourraient faire partie de la Compagnie Rosas tellement ils se montrent à l'aise. Juliette Hilaire, qui n'y figurait pas, est une véritable révélation dans ce répertoire. Vive, bondissante, espiègle avec son carré de cheveux bouclés, c'est une bombe à fragmentation pour tous ses camarades de scène. D'autres plus jeunes danseurs n'ont pas encore tout à fait l'élan et la décontraction nécessaire au style Anne Teresa De Keersmaeker, mais compensent leur application par un engagement total.
À la musique d'une intense subtilité et d'une infinie douceur répond une chorégraphie vive et moirée, mélange d'impulsions contrôlées et de figures parfaites. Drumming Live fait pendant avec Rain dans ses infinies déclinaisons de couleurs orangées, ses variations microscopiques et ses ruptures de rythme. Ces deux pièces d'apparence minimaliste sont en cela presque plus riches stylistiquement que certaines pièces de Lucinda Childs ou de Trisha Brown. Elles rejoignent pour notre plus grand bonheur le répertoire d'une compagnie qui s'en montre digne. Une pièce à voir absolument…
Photos : © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris