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Rheingold, prélude à une nouvelle Tétralogie sur le Rhin

Prémice d'un nouveau Ring de Wagner à l'Oper am Rhein, le prologue L'Or du Rhin, dirigé par à Düsseldorf, montre toute la culture du son acquise par le chef depuis que celui-ci est passé par la fosse de Bayreuth,  avec un orchestre parfaitement au point dès la fin du prélude orchestral. La mise en scène de Dietrich W. Hilsdorf transpose l'action dans l'Amérique du Far West, quand la distribution bénéficie de l'excellente prise de rôle de en Wotan et d'un Alberich efficace de , en plus de trois superbes Filles du Rhin.

De l'expression célèbre lancée par un critique en 1869 après la Première de Das Rheingold, celle d'« Aquarium à putes » pour évoquer la scène du Rhin, le metteur en scène Dietrich W. Hilsdorf, appelé à l'Oper am Rhein de Düsseldorf et Duisbourg pour un nouveau cycle de Der Ring des Nibelungen, n'a retenu que la seconde partie. L'ouverture de rideau se fait alors sur un intérieur de saloon, ou plutôt une maison de passe dans laquelle trois jolies jeunes femmes en robes vertes offrent facilement leurs charmes. Leurs voix suivent parfaitement leurs contours et aux aigus superbement éclatants d'Anke Krabbe (Woglinde), s'accorde le timbre plus sombre mais tout aussi superbe de (Wellgunde), une mezzo ayant été choisie pour ce rôle normalement confié à une soprano par Wagner, tandis que Ramona Zaharia (Floßhilde) complète magnifiquement le trio avec la voix la plus grave, en accord cette fois avec la partition du maître.

A ce décor de Dieter Richter sont intégrées des idées autour de la lutte des classes, avec au deuxième acte des Nibelungen devenus simples mineurs, quand les dieux montrent par leurs costumes qu'ils possèdent les richesses sur Terre, principalement l'or cherché lors de la conquête de l'Ouest. Il faudra évaluer par la suite la pertinence de cette proposition et sa viabilité sur quatorze heures de musique, mais en plus de rappeler quelque peu par le choix du lieu la production récente de Franz Castorf pour Bayreuth, le salon fait aussi penser au décor utilisé par Keith Warner pour son Tannhäuser à l'Opéra du Rhin en 2013, même si l'action se déroulait toujours en Prusse. Les concepts parfois simplistes semblent également risqués pour parvenir à maintenir l'intérêt sur la scène pendant les trois prochaines journées.

Cependant, de beaux effets montrent la qualité du travail et l'action profite souvent d'une amplification sonore efficace, comme la fracture des murs pendant le premier interlude orchestral par les wagons de mineurs, ou la destruction du plafond lorsqu'Alberich utilise le heaume pour ses transformations. On retrouve d'ailleurs dans cette scène un léger contresens souvent observé ailleurs, car la voûte détruite par une patte de dragon montre déjà l'animal que choisira Fafner face à Siegfried lorsqu'il se servira du heaume magique, alors qu'avant de se faire berner et de se transformer en grenouille pour être attrapé par Wotan, Alberich choisit lui la forme d'un serpent et non d'un dragon ; il ne peut donc posséder cette grosse partie crochue qui apparaît ici sur la scène. Wotan est présenté non pas borgne, mais aveugle. Passé depuis peu vers des rôles lourds de baryton-basse, comme son récent Holländer à Lille, montre pour le dieu plus de graves qu'en capitaine de navire, et affiche une superbe présence vocale comme scénique, dans une tessiture qui semble aujourd'hui lui convenir parfaitement.

l'assiste en dieu du feu, et s'il avait intéressé dans le rôle de Mime à Bayreuth en 2013, nous l'avions trouvé déjà moins saillant en Loge à Munich en 2015, ce qui se reproduit ici avec une projection maigre et un souffle souvent court. Ce ténor devra pourtant tenir la partie de Lohengrin l'an prochain à Marseille, alors qu'à Düsseldorf il est déjà dépassé dans la clarté et l'émission par le Mime de , et moins agréable dans la couleur que le Froh d'Ovidiu Purcel. Chez les hommes, (Fasolt) et (Fafner) convainquent sans pour autant marquer leurs rôles, quand le baryton-basse Torben Jürgens campe pour son premier emploi wagnérien un Donner dandy, très intéressant à la première scène mais sans doute trop travaillé et trop précis dans le phrasé à la scène finale. tient quant à lui un Alberich dynamique, jamais trop noir, mais plutôt mauvais à la façon d'un méchant de film américain, à l'image de son personnage dans cette mise en scène. Chez les femmes, montre une Fricka bien en place dans le médium, moins noire dans le bas du spectre que l'Erda de qui apparaît en sortant d'un fauteuil du salon, tandis que la Freia de attire par son jeu de femme outragée et par ses éclats de voix.

En fosse, le directeur musical de l'Oper am Rhein , à Bayreuth depuis 2013 pour suppléer Christian Thielemann d'abord dans Tannhäuser, puis dans Der Fliegende Holländer, n'a jamais dirigé le Ring sur la colline. Il montre pourtant aujourd'hui avec évidence, dans le son propagé, qu'il connait le lieu magique et sait maintenant s'en servir pour propager différemment le langage wagnérien. Dans la fosse de Düsseldorf, les sonorités larges et les mises en avant de certaines parties de cordes et de bois ainsi que l'agencement et la dynamique globale donnent toute leur force à une partition dans laquelle il ne laisse jamais de répit au silence. Le chef est aidé en cela de son , encore un peu froid au Prélude avec notamment un accord pointé du cor complètement occulté, puis ensuite impeccable pendant les deux heures trente sans coupure de l'ouvrage. La suite arrive en janvier 2018.

Crédit photographique : © Hans Jörg Michel 

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