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Une Dame de Pique sombre et passionnante à Stuttgart

, directeur de l'Opéra de Stuttgart, propose un des meilleurs spectacles de son mandat, avec l'aide précieuse d'une irremplaçable artiste de la scène, .

Pouchkine revu par Dostoievski : c‘est en quelque sorte ainsi que et présentent La Dame de Pique de Tchaïkovski, cette course à l'abîme où les tourments intérieurs des personnages – et pas seulement Hermann – sont si obsédants qu'ils masquent les éléments de contexte social ou historique qui jouent un rôle essentiel chez Pouchkine. Leur mise en scène se passe non dans le monde aristocratique, mais dans des bas-fonds que la littérature russe a abondamment décrits : ils présentent un monde bouillonnant de vie, dans des teintes claires qui sont en contraste volontaire avec la noirceur de la musique et de la narration – ces figures qui s'agitent ont la netteté et le naturel des personnages d'un cauchemar. C'est certainement le mérite des deux metteurs en scène, mais cela n'aurait pas été possible sans les décors et costumes d'.

Ce mélange de luxe aristocratique défraîchi et de prosaïque contreplaqué, ces décors qui montrent sans pudeur leur construction, ces costumes impeccablement dépareillés et banals, c'est peut-être un style Viebrock, qu'on retrouve de production en production ; mais ces ressemblances ne sont que superficielles, et la manière dont ces décors créent un espace théâtral oppressant, mouvant, habité d'une âme insaisissable est la marque d'une grande artiste de la scène. Ses costumes, de même, jouent avec toute l'habileté du monde du vocabulaire du vieux T-shirt et de la robe défraîchie, mais le jeu va bien au-delà du misérabilisme : il s'en dégage un puissant effet d'irréalité, qui ne cesse de déséquilibrer notre regard sur ce que l'opéra raconte.

La force d'un travail d'équipe

Même si cette soirée est déjà assez loin de la première, avec un autre chef qu'en juin dernier, l'Opéra de Stuttgart offre ce soir une qualité musicale que d'autres maisons, avec des noms autrement plus connus, n'atteignent pas toujours. La distribution est dominée par le très sûr en Hermann, face à une Lisa un peu effacée ; et si Tomski est ce soir souffrant, est un fort noble prince Yeletski. Le coup de coeur de la soirée, cependant, ira à la Polina, fort bien mise en valeur par la mise en scène : est irrésistible à la fois par son engagement scénique (on n'en attend pas moins d'un membre de la troupe de Stuttgart !) et par les couleurs sombres et sensuelles de sa voix, guidée par une musicalité parfaite.

Dans la fosse, ne peut certes rivaliser avec l'élan et les nuances inouïes que Mariss Jansons avait su donner, en concert, à cette œuvre ; si on peut regretter par moment un réel manque de subtilité, la puissance dramatique est là, le travail de précision qui permet aux chanteurs de s'exprimer en toute sécurité aussi, et cette approche musclée est suffisamment soignée pour porter l'auditeur tout au long de cette soirée pleine de fièvre.

Crédits photographiques : © A. T. Schaefer

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