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Valls, Desmarest et Savall entre la Catalogne et la France

Leçon musicale et leçon d'histoire, comme souvent avec le chef catalan. Cette dernière entre cette fois en résonance plus que troublante avec l'actualité, tout au long d'un très prenant double disque nous faisant voyager de Versailles à Barcelone.

La Missa Scala Aretina de pour onze voix réparties en trois chœurs, et la Messe à deux chœurs d', composées de chaque côté des Pyrenées, ne sont pas des inédits (enregistrements Recasens de 2014 pour la première, Schneebeli de 2000 pour la seconde). Ce qui l'est, c'est leur couplage. La judicieuse mise en miroir du label Alia Vox nous replonge dans la Guerre de Succession d'Espagne (1701-1714) lorsque la France soutenait le roi Philippe V (qu'elle avait placé sur le trône) dans le conflit qui l'opposa à la Catalogne épaulée par l'Autriche.

Le Catalan Valls, partisan de l'archiduc d'Autriche, tomba en disgrâce à la chute de la Catalogne. Sa Missa Scala Aretina (dont l'intitulé évoque l'usage thématique de l'échelle hexacordale de Guido de Arezzo) lui valut reproche quant à certain vent de liberté harmonique difficilement décelable par nos oreilles contemporaines mais que l'Ibère indépendant revendiquait, arguant que seule la mélodie valait finalité en musique. Le Français Desmarest, promis en France au destin de Charpentier auquel il succéda au Collège des Jésuites, fut, à la suite d'un enlèvement perpétré sur une bien-aimée encore mineure, contraint à un exil qui le conduisit… en Espagne, à la cour de Philippe V, roi versatile en musique et dont les goûts musicaux ramenèrent en France celui qu'il avait nommé Maître de la Musique Française à la Cour d'Espagne. La Messe à deux orchestres et à deux chœurs de 1704 de Desmarest peut être considérée comme un des effets papillons de la grandiose Missa Scala Aretina que Valls fit entendre en 1702, très certainement en présence de l'exilé.

L'art consommé de fait sans encombre le voyage entre les deux œuvres. À l'aune de leur pompe, l'instrumentarium de son Concert des Nations sonne haut et fort. Les premières mesures de Valls, rehaussées par le tranchant de la harpe d'Andrew Lawrence-King, confirment la part belle faite aux graves par une prise de son puissante, que reconnaîtront les familiers des productions du maître catalan. Du chœur aux nombreux et merveilleux solistes qui s'en échappent (Monica Piccinini, , Lluís Vilamajó, , , Gabriel Díaz, Marco Scavazza, …), tout n'est qu'harmonie imposante et tranquille. Si la science contrapuntique est un jaillissement perpétuel, le frisson mélodique (confié à des noms plus familiers comme …) explose dans les pièces de type hymnique, intitulées Musiques de la Mémoire du Peuple, que Savall dépose aux pieds de la messe de Valls, et notamment l'irrépressible Els Segadors devenu l'actuel hymne national de Catalogne.

Répétées dans la Saline d'Arc-et-Senans, cité utopique de Claude-Nicolas Ledoux, où est actuellement en résidence, les deux messes sont réunies sous l'intitulé In excelsis Deo. L'on formule, avec l'Ambassadeur de l'Union européenne Savall, le vœu que ce disque serve à ce que soit entendue la suite : Et in terra pax hominibus bonae voluntatis…

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