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Le Bachfest de Leipzig : pèlerinage musical aux sources du baroque

En juin, pendant une dizaine de jours, le cœur de la ville de Leipzig bat au rythme de la musique de . Véritable pèlerinage musical où toutes les routes mènent au célèbre Cantor, ce festival international a su cette année varier les propositions.

Le Bachfest, c'est d'abord venir écouter les œuvres de Bach sur leur lieu de représentation d'origine, l'église Saint-Thomas où Bach fut Cantor les dernières vingt-sept années de sa vie restant la plus emblématique. Au-delà de la nouveauté de cette édition 2018 proposée par son directeur artistique Sir John Eliot Gardiner, soit proposer trente-trois cantates en quarante-huit heures de la figure la plus emblématique du XVIIIe siècle, intéressons-nous aux fondements de ce festival.

Concert d'orgue à l'église Saint-Thomas avec l'actuel organiste titulaire

La production d'un compositeur à l'époque baroque était largement conditionnée par les exigences des mécènes, de ses employeurs et du public. Pour Bach, hormis ses œuvres de jeunesse, son catalogue est canalisé par ses cinq postes principaux à Arnstadt, Mühlhausen, Weimar, Cöthen et Leipzig où il a été cantor de l'église Saint-Thomas et directeur de la musique de la ville de 1723 à 1750. L'église municipale dans laquelle nous nous trouvons ce soir est désormais l'un des plus importants sites au monde consacrés à la préservation de la musique de Bach.

Naturellement, Ullrich Böhme joue exclusivement lors de ce concert sur l'orgue « Bach » (ou Woehl) situé sur la galerie nord de l'église, créé lors de la commémoration des 250 ans de la mort du compositeur par l'atelier Gerald Woehl. La forme du buffet s'inspire de celui de l'église de l'université de Leipzig sur lequel Bach avait ses habitudes, et se constitue de 61 jeux, 4 claviers manuels et un pédalier, proches des orgues de l'Allemagne centrale du XVIIIe siècle pour une résonance la plus authentique possible au diapason 465 Hz comme tous les orgues de Leipzig au temps du héros local. Après une Fantaisie en do mineur BWV 562/1 imposante, la mélodie reine et les séduisantes ritournelles d'accompagnement des six Chorals Schübler (BWV 645-650), dont le célébrissime Choral du veilleur (Wachet auf, ruft uns die Stimme), sont judicieusement programmés en début de soirée puisque d'une écriture moins savante et moins profonde que d'autres productions du compositeur. Même si certains choix de jeux un peu trop caractérisés semblent quelque peu déroutants pour atteindre une sérénité sans défaut (Wer nur den lieben Gott lässt walten, BWV 647), l'exactitude rythmique et l'articulation souple de l'organiste restent constantes, démontrant surtout une clarté contrapuntique au sein d'un ample geste musical unificateur. La lecture jubilatoire aux ornementations presque profanes de Ach bleib bei uns, Herr jesu Christ BWV 649 affirme par la suite une lecture moins liturgique.

La deuxième partie du concert se consacre aux chorals de la Clavierübung III (BWV 669-677) entamés par le prélude tonitruant et clôturés par la fugue monumentale en mi bémol Majeur (BWV 552), qui sous les doigts de l'organiste titulaire de l'église Saint-Thomas semblent d'une simplicité et d'une limpidité éclatantes grâce à des phrasés d'une agréable légèreté au bénéfice d'une approche interprétative lumineuse. Et alors que les experts ferment les yeux tout au long de l'écoute pour une énième analyse du figuralisme poétique et de la symbolique des nombres caractéristiques de ces célèbres partitions, les nouveaux festivaliers s'attardent en fin de soirée sur la tombe de disposée au pied de l'autel et recouverte par des fleurs fraîchement coupées, signe d'un hommage quotidien de nombreux visiteurs.

Bach et les autres

L'église Saint-Nicolas, étonnante par sa clarté, sa majesté et ses énormes colonnes en forme de palmiers, est le lieu où a résonné pour la première fois un bon nombre des compositions les plus importantes de Bach, dont un bon nombre de ses cantates et de ses oratorios, ainsi que la Passion selon saint Jean en 1724, 1728, 1732 et 1749. Point de départ en 1989 de la « friedliche Revolution » (la révolution pacifique), les « prières de la paix » organisées dans cette église prirent une importance réelle dans l'histoire de la ville. Lors de celle organisée dans le cadre du festival, l'ensemble vocal Sjaella de Leipzig impressionne par un chant mixte a cappella d'une véritable classe, entre des voix naturelles sans maniérisme, une légèreté inégalable et une compréhension musicale profonde de ces dix jeunes chanteurs. En bénéficiant d'une excellente acoustique, les artistes défendent avec cohésion et expressivité les musiques sacrées de compositeurs contemporains qui forment ce séduisant programme. Après le néo-romantisme lumineux et voluptueux de René Clausen (Peace I leave with you), la précision dans les attaques des consonnes dans Advance Democracy de , la justesse implacable de chacun dans Refugees du directeur musical de l'Université de Leipzig et directeur du chœur de l'université de Leipzig David Timm, la maîtrise parfaite du souffle dans les valeurs longues hautement spirituelles du Da pacem, Domine d', les silences bien calibrés mettant en valeur le texte et les dissonances du An die Hoffnung de Thomas Jennefelt, et l'intensité des fortissimi de Peace de Fredrik Sixten, ponctuent une richesse vocale enthousiasmante. Le Cantor actuel de l'église, Jürgen Wolf, à l'orgue, fait entonner un lied de Peter Janssens, Selig seid ihr, pour une prière de paix collective. Dans un autre registre, la messe du matin à l'église Saint-Pierre fait participer les petits chanteurs du MDR Kinderchor accompagnés du Leipziger Barockorchester dans un Stabat mater de Pergolèse (dont Bach reprend les thèmes dans son Psaume 51 BWV 1083) attendrissant par sa candeur enfantine.

La Gewandhaus accueille naturellement elle aussi les festivaliers, peu nombreux ce soir dans cette grande salle à moitié pleine pour Elias de Mendelssohn, figure centrale du XIXe siècle dans la redécouverte de la musique du Cantor de Leipzig dont l'influence dans ses compositions se reflète de différentes manières. Bien connu dans l'interprétation des cantates de Bach avec son , instaure ici un large lyrisme sans superficialité ni expérimentation particulière par une gestuelle ample et claire, l'expressivité dramatique n'étant contrainte que par quelques problèmes d'équilibre entre l'orchestre, le chœur et les solistes à leur entrée, mais surtout la sophistication et le maniérisme de et dont les deux voix s'accordent mal, les vibrato excessifs de la mezzo répondant aux aigus perçants voire agressifs de la soprano. Même si le ténor fait preuve d'une élégance et d'un sens de la déclamation certain, et que ne manque pas d'autorité ni d'humanité en faisant preuve d'une émission nette dans le rôle d'Elias, on regrette de ne pas trouver plutôt au premier plan les différents solistes des chœurs, sublimes chacun d'entre eux. Les parties chorales, massives de bout en bout, se révélant être les véritables conquérantes de cette soirée à Leipzig.

Crédits photographiques : Ullrich Böhme © Rondeau ; Ensemble vocal Sjaella © Veranstalter ; à la Gewandhaus de Leipzig © Luca Kunze

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