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À Liège, un Macbeth en mode échec et mat

Pour terminer sa saison, l'Opéra Royal de Wallonie propose une nouvelle production du Macbeth de , mis en scène par le directeur général de la maison,  : la direction musicale très contrastée et finement ciselée de , le vaillant dans le rôle titre et en Lady Macbeth constituent les points forts d'un spectacle scéniquement assez classique mais d'une puissance évocatrice incontestable.

Loin de toute provocation inutile, et juste teintée de quelques touches d'originalité, cette production, sous les aspects luxuriants d'un déluge assez sublime de costumes historiés, dus à , laisse parfois une impression de valse-hésitation dans ses choix scéniques (telles ces sorcières partagées entre soyeux voiles et casques cornus !). Certaines trouvailles visuelles auraient sans doute mérité d'être d'avantage creusées : par exemple le motif scénique du damier, omniprésent au fil des actes, demeure jachère d'une partie d'échecs grandeur nature, métaphore de la lutte sanglante pour le pouvoir, présentée au lever de rideau puis abandonnée après le premier acte, alors qu'elle aurait pu être sans doute d'avantage exploitée.

La mise en scène jette, par son statisme assumé, un regard pessimiste sur les arcanes du pouvoir. La violence aveugle et l'avidité de puissance sont juste suggérées, les meurtres sont reflétés par un jeu de miroirs fixés au plafond, simple mais implacable projection imagée d'un monde tragique, effet scénique imparable loin de tout flux hémorragique auquel certains metteurs en scène sacrifient parfois dans cette œuvre. L'absence de tout accessoire ou décorum inutile est heureusement compensée par les lumières de toute beauté de et la mise en espace de sombres et sobres décors de , en parfaite osmose avec les options pudiques mais efficaces de Stefano Mazzonis.

La version proposée est musicalement composite, compromis des différentes moutures de la partition ; nous avons droit au ballet du troisième acte de la version parisienne (1865), ici visuellement très abouti, et magnifié par la compagnie du dans la chorégraphie, moderne et de bon goût, signée . Mais dans l'absolu cet intermède, concession à la mode parisienne lors de la création française de l'ouvrage, constitue, il faut bien l'avouer, une assez inutile interruption du flux dramatique. Par ailleurs, nous est proposée pour ponctuer l'ouvrage la version primitive (1847) du final avec l'aria du rôle-titre « Mal che per me s'affiadi ».

, grand habitué du rôle, campe à plus de soixante-seize ans un Macbeth humain, sciemment manipulé et d'autant plus psychologiquement ravagé. Cette impressionnante incarnation, quelque peu physiquement contrainte par un haubert envahissant, portraiture par petites touches un homme faible, certes perclus d'ambition, mais véritable jouet à la fois d'un funeste destin prédit par la sorcellerie et d'une épouse despotique aux desiderata outrés et meurtriers. Cette subtile interprétation trouve son aboutissement dans le Pieta, rispeto amore de l'acte IV, où le vétéran italien fait montre aujourd'hui d'une fêlure et d'un humanisme inattendus, par ce souffle plus court ou cette intonation moins stable que jadis.

En regard, , habitée par le rôle écrasant qu'elle incarne régulièrement de par le monde depuis sa prise de rôle en 2002 à Turin, assume totalement la noirceur d'une Lady Macbeth machiavélique, malgré un aigu un soupçon plus ténu. Mais quels graves larges, charnus et vénéneux ! L'incarnation se veut viscérale et indomptable dès la convocation liminaire des forces du mal. Si la justesse d'intonation durant le premier acte est occasionnellement prise en défaut, l'abattage scénique va crescendo au fil de l'action et culmine dans la scène de somnambulisme et de folie du dernier acte proprement hallucinante et vocalement aussi parfaite qu'habitée.

Le Banco de , nous semble en retrait, quelque peu voilé de timbre et parfois à la merci d'un vibrato trop généreux. , ténor peut-être un peu maigrelet et acide pour incarner Macduff, et en Malcolm cultivent quant à eux une troublante gémellité vocale lors du tableau de la forêt de Birnam.

Un Orchestre de l'Opéra de Wallonie des grands jours est mené avec ductilité, nuance et hardiesse par , ancien directeur musical de l'institution : ses options de tempi sont parfois surprenantes tantôt par une énergie véloce (la scène liminaire du sabbat de sorcières au premier acte, littéralement cravachée) ou ailleurs par une étonnante retenue (introduction chorale de l'acte IV, « Patria oppressa »), mais toujours le chef italien se montre attentif au soutien du plateau scénique et de ses éminents solistes. Les chœurs de l'institution, très professionnels, assument courageusement leur partie malgré le décès tragique et accidentel ce week-end même de leur ténor chef de pupitre , à la mémoire duquel la représentation du jour est dédiée. Triste ponctuation pour un spectacle assez homogène et réussi, triomphalement accueilli, et pour une saison rondement menée. Comme le dit l'adage, the show must go on.

Crédits photographiques : © Opéra Royal de Wallonie-Liège

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