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Le Werther exceptionnel de Juan Diego Flórez et Tatjana Gürbaca

Du Werther zurichois monté récemment par l'Opéra du Rhin, on aurait tort de ne retenir que la présence du Werther de : le travail de affranchit Werther de tout procès en désuétude.

Jusqu'à ce jour, il était difficile en DVD de voir Werther autrement qu'au travers d'un écran bien opaque, celui de tant de mises en scènes respectueusement enrubannées dans la joliesse décorative d'un XVIIIe siècle de façade, avec main sur le cœur en bord de rampe, direction d'acteurs déléguée au tempérament des interprètes… Avec , on est à des années-lumières de la référence acclamée qu'est la production de Benoît Jacquot naviguant pourtant elle aussi par trop en surface des enjeux qui font de cette œuvre délicate et cruelle une sorte d'Eugène Onéguine à la française.

Comme dans son récent Lohengrin, , avec une écoute très fine de la partition de Massenet, préfère installer ses personnages dans un espace mental, procédé particulièrement en situation pour le héros de Goethe, si sujet aux tempêtes internes. Une magnifique boîte de bois clair vue en perspective sert de décor unique, qu'on ne se lassera à aucun moment de scruter. Une sorte de cabinet de curiosités, où la lumière est reine et dont les différentes ouvertures s'ouvrent sur le quotidien ou l'onirique : une horloge, le glissement vertical d'un rayon de lune, des flocons de neige, un placard où l'on range du linge aussi bien qu'un organiste en action, et même, au finale, l'immensité cosmique d'une chute d'étoiles. Tatjana Gürbaca est de ces metteurs en scène d'opéras qui ne se satisfont pas d'une installation esthétique, aussi splendide soit-elle s'ils n'y trouvent matière à y manier avec gourmandise et précision le pinceau de la direction d'acteurs. Dans l'ordonnance de ce Wetzlar millimétré en maison de poupées, Werther est vu comme un fantasme déstabilisateur. La metteuse en scène allemande ne néglige aucun détail, captant aussi bien la naïveté de l'œuvre (merveilleuses scènes enfantines du I), son humour (les taquineries sur les vieilles dames auxquelles Charlotte rend visite au II) que son romantisme (clair de lune et tempête) et sa mélancolie intense (au IV le couple de vieux amants qui terminent paisiblement leur vie pendant que Werther et Charlotte s'interdisent la leur).

Cet univers toujours surprenant, voire hypnotique, est un écrin rêvé pour , dans lequel Gürbaca le fait entrer à reculons. Le ténor, décidé à infléchir une carrière jusque là principalement dédiée à l'insolence vocale des opéras belcantistes, est un Werther aussi idéal que son récent Hoffmann à Monaco : beauté vocale solaire et introspective, présence scénique magnétique, articulation parfaite du texte. On doute un instant que sa Charlotte ne soit gênée par l'ombre d'une telle étoile. Il n'en est rien : , au français bien en place et aux moyens convaincants, réussit la subtile métamorphose de la timidité gauche de l'enfance aux passions de l'âge adulte, doublée d'une perversité de type Mélisande. Sophie () n'est plus, avec Gürbaca, l'horripilante naïve ravie de tout, mais une sœur à laquelle rien n'échappe de ce qui se joue autour d'elle. , très convaincant en Albert, passe du gendre idéal au mari terrifiant. Le fusain de Tatiana Gürbaca n'épargne pas Schmidt et Johann en ludions presque inquiétants (excellents et ), mais conserve une part de bonhomie tranquille au Bailli de . La direction sombre et puissante de n'est pas sans faire songer à celle de , une des meilleures au disque, qui fit là pour Massenet ce qu'il avait fait pour Berlioz.

En France, cent trente-six ans après sa création, certains regardent encore Werther avec circonspection. Ce DVD, pierre blanche dans le jardin de Massenet, est fait pour eux.

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