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L’expérience Lost Highway dans la nouvelle mise en scène de Yuval Sharon

En même temps que Trois Soeurs de Peter Eötvös, le dynamique Oper Frankfurt propose en cette rentrée une seconde nouvelle production d'un opéra moderne, celle de Lost Highway d', dans une mise en scène particulièrement réussie de , ajustée à la qualité de l'équipe technique et musicale ainsi qu'à la salle du Bockenheimer Depot.

Après s'être inspiré du théâtre et des romans pour les livrets d'opéras, les compositeurs se plongent aujourd'hui vers le cinéma. A l'image des récents Notorious d'Hans Gefors ou Marnie de Nico Muhly adapté d'Alfred Hitchcock, est allé piocher chez David Lynch pour reproduire musicalement l'ambiance psychédélique et expérimentale de Lost Highway.

L'ouvrage créé en 2003 à Graz n'a suivi que de six ans la parution du film choc, dans lequel les cartes du réel sont rebattues sans jamais non plus tomber dans la facilité d'une histoire fantastique qui ôterait toute légitimité au drame. Comme dans le film, le livret présente deux parties, la première de Fred et Renee Madison observés chez eux avant que le mari ne soit condamné à la chaise électrique pour la mort de sa femme ; la seconde après une inversion de personne dans le couloir de la mort et la remise en liberté de Fred, devenu, sans comprendre lui-même comment, le mécanicien Pete Dayton.

Comme le film, le logique et l'illogique agissent en permanence contre le logique et créent des situations nerveuses que la partition de Neuwirth magnifie à l'opéra. L'ouvrage joué en une heure trente sans interruption utilise en même temps qu'un petit ensemble − ici l'excellent dirigé d'une main de maître par Karsten Januschke − une assistance électronique et acoustique pour adapter le son et amplifier les effets de stress et de tension, particulièrement efficaces dans l'atmosphère du Bockenheimer Depot.


Le traitement scénique se montre lui aussi extrêmement percutant grâce au travail de , dont on oubliera malheureusement le Lohengrin de Bayreuth cet été et qui n'avait su non plus passionner récemment avec sa Walkyrie de Karsruhe, ni à Vienne dans sa proposition des Trois Sœurs. Il entre à Francfort totalement dans l'idée d'un opéra cinématographique et utilise un fond vert pour jouer sur les quatre dimensions de Lynch, avec un désordre permanente des éléments d'espace et de son, associée aux perturbations contextuelles et auditives de l'opéra, dynamisées dès l'introduction par la guitare électrique puis par la trompette bouchée, ainsi que par les sirènes, le tout sous-tendu par la latence des cordes. Un écran en hauteur retranscrit ce que l'on voit en vert au-dessous. Mais si Fred se trouve bien devant nous, assis sur un cube avec un volant dans les main en même tant que projeté au-dessus en image au volant d'une voiture, sa compagne à côté de lui sur l'écran provient d'un espace caché que l'on ne verra jamais.

Ce détail d'agencements impeccables s'ajuste en seconde partie à des acteurs cette fois à l'étage, alors placés derrière l'écran, dont ils ressortent lorsque l'image ne les recouvre pas. A cela s'ajoute des vidéos de la maison en maquette informatique 3D et de nombreuses images en alternance de synthèse ou de paysages réels des lieux visités par les différents acteurs. La première partie n'utilise que le langage parlé, et bénéficie tout de même déjà de l'excellente Renee d', ainsi que du très convaincant Fred Madisson de Jeff Burrell, quand la seconde fait véritablement appel à des chanteurs.

Fred devient Pete et laisse donc sa place au jeune et prometteur baryton américain . L'iconoclaste reprend le rôle qu'il tenait déjà en 2003 de Dick Laurent, et parvient toujours autant à surprendre dans la scène déjantée du garage, suivi ensuite par le Mystery Man maladif, très puissant à l'aigu, du contre-ténor . se montre remarquable dans le petit rôle de la mère de Pete, à côté du père de Jörg Schäfer, quand le ténor Samuel Levine tient parfaitement les trois personnage d'Andy, de garde et d'Arnie. On retient cependant à nouveau la prestation d', cette fois par son chant puissant et expressif.

Il ne reste qu'à espérer qu'une salle française demande à récupérer cette production.

Crédits photographiques © Monika Rittershaus

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