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À Genève, enthousiasmante Mamma de Laurent Naouri

Après sa création en juin 2017 à Lyon, sa retransmission télévisée sur grand écran dans plusieurs villes de la région Auvergne-Rhône-Alpes et avant le Liceu de Barcelone et le Teatro Regio de Turin, l'opéra Viva la Mamma ! (Le convenienze et inconvenienze teatrali) de , aux innombrables et étonnants accents rossiniens, fait une halte enthousiasmante à Genève.

On pourrait penser que les reprises télévisées, la proximité des maisons d'opéra de Lyon et de Genève et la disparition temporelle du suspense de la nouveauté annihileraient le plaisir de la découverte de cette production de Viva la Mamma ! de Donizetti. La pérennité de l'humour d'un au sommet a cependant eu raison de tous ces obstacles. Sa capacité de côtoyer le burlesque, le comique de situations, fait à nouveau mouche. Sa grande expérience du théâtre, son don d'observation ne pouvait que le désigner comme le metteur en scène idéal d'une farce musicale qui se déroule dans le milieu de l'opéra. Si souvent à l'opéra, et particulièrement dans l'opérette, le livret, la musique, offrent des situations comiques qui forcent le sourire. Quand est aux commandes, on rit. Franchement. La séquence mythique de repassage des sous-vêtements des soldats dans « La Fille du Régiment » de Donizetti par une Natalie Dessay démontée n'a d'égale ici que celle, absolument désopilante, de cet accessoiriste amenant gauchement un énorme faisceau de hallebardes que les soldats-choristes (à moins que ce soit le contraire) lui arrachent dans un indescriptible foutoir. Et tout cela sans jamais se départir de l'esprit fondamental de qui déclare : « Le burlesque ne doit pas masquer l'émotion, la vérité dramatique des personnages, bien au contraire. » Et c'est ainsi qu'il scelle ses personnages dans un pathétisme bouleversant. Comment ne pas aimer cette Mamma Agata qui, aveugle d'amour pour sa fille , n'hésite pas à se ridiculiser pour lui faire la place qu'elle croit qu'on lui doit ? Comment ne pas être ému par le désespoir de ce chef d'orchestre devant la piètre qualité des chanteurs, choisis par le directeur du théâtre ?

Et comme il est réjouissant de sentir l'extrême complicité qui règne entre la mise en scène et l'orchestre. Un qui, s'il n'a pas la réputation de l'Orchestre de la Suisse Romande, démontre un entrain, une joie de jouer qui l'érige en compagnon idéal de cette soirée. La direction attentive, dynamique et très musicale de ne fait qu'ajouter au tableau déjà attachant de cette réussite.

Avec Laurent Pelly, rien n'est laissé au hasard. Tout participe à son spectacle. Y compris le décor. C'est avec , sa compagne de scène depuis plus de vingt ans, qu'il imagine les ambiances dans lesquelles il veut raconter les intrigues. Ici, s'agissant de deux séquences d'un même spectacle, la première partie, celle des auditions, se déroule dans un théâtre désaffecté transformé en parking. Tout y est. A l'ouverture du rideau, les voitures font dos au public. D'une Fiat 500 flambant neuve (aux plaques d'immatriculation italienne, excusez le détail !) s'extirpe une jeune et fringante dame qui, après avoir retiré une bonne dizaine de sacs à l'effigie de grandes boutiques de la ville, être retournée dans son habitacle en s'appuyant malencontreusement sur le klaxon, s'en retourne chez elle. Le « zip-zip » typique de la fermeture des portières avec la télécommande ayant retenti, la musique de l'ouverture peut retentir. En seconde partie, ce même théâtre a été réhabilité et on assiste à la répétition générale avant que toute la troupe s'enfuie, les chanteurs ayant déjà dépensé leur cachet alors que les représentations sont annulées. Le théâtre est voué à la destruction au moment du tomber de rideau.

Si le spectacle tourne autour d'un (Mamma Agata) en pleine forme, les autres protagonistes potentialisent le plateau et la fosse à force de cohésion et d'entrain. Chacun est à sa place, bien dans ses basques. Laurent Pelly a l'intelligence d'utiliser ses acteurs pour ce qu'ils sont. Ainsi ils jouent avec leur propre personnalité. s'amuse et nous amuse. En extraordinaire artiste, il sait oublier la stricte discipline du chant pour habiller son personnage du burlesque qu'exige l'intrigue quitte à casser son instrument vocal. Quelle verve, quel abattage !
Moins expansive, avec un léger voile dans la voix, la soprano (Daria) ne semble pas très à l'aise (refroidissement ?) quand bien même elle offre quelques irréprochables vocalises.
Depuis plusieurs années, la soprano () offre des prestations vocales toutes dignes d'éloges. On lui sait son instrument superbe qu'elle distille comme sortie d'un écrin de velours. Ici, elle saute le pas. La soprano impeccable devient l'artiste en osant détimbrer volontairement sa voix pour chanter « All'eterno felice soggiorno » de l'opéra Fausta. Un moment d'une drôlerie impayable qu'on aurait aimé entendre se prolonger durant tout l'air pour que seule l'ultime mesure soit envoyée à pleine voix.
Parmi les autres protagonistes, signalons la belle présence scénique et vocale du baryton-basse (Biscroma), formidable chanteur et, à l'occasion pianiste magnifique accompagnateur des autres chanteurs. De son côté le ténor Brésilien (Guglielmo) campe un divo parfaitement caricaturé, et son air « Non è di morte il fulmine » tiré de Alfredo il Grande fait montre d'une autorité et d'une santé vocale impressionnante. Quant à lui, mis en scène superbement, emprunté à souhait, le personnage de Procolo (David Bizic) est d'un comique ravageur.

Le chœur d'hommes du Grand Théâtre de Genève est parfait de cohésion et, comme les autres protagonistes, s'investit sans compter dans cette comédie délirante donnant à chacun l'occasion d'exister pleinement sur scène. Un spectacle plein de verve et d'esprit.

Crédit photographique : © GTG / Carole Parodi

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