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La passion selon Star Wars

Cela fait déjà quelque temps que les institutions culturelles confrontées à la décroissance de leur public tentent de suivre les modes, celles dictées par les mass-média. Que ce soit pour les nouvelles consommations ou divertissements, on assiste également à une mondialisation standardisée de la culture. Et les orchestres ne sont pas en reste.

Face à la mutation des comportements des consommateurs, les orchestres adoptent de nouvelles techniques dignes des meilleurs spécialistes du marketing afin de tenter de maintenir le volume de leurs spectateurs. Les « Cross-Over, Benchmarking, Naming » sont devenus dans les faits leur quotidien. Le cross-over marketing fut théorisé par les spécialistes Grier, Brunbaugh et Thorton en 2006 et se traduit en français par « Marketing de diversité ». C'est à dire de mélange les genres, et dans le cas ici : entre populaire et élitaire. Les premières applications de cette théorie furent de ponctuer les saisons d'événements « calendaires » comme les concerts dits de Saint-Valentin ou d'Halloween, qui s'ajoutent au déjà traditionnel concert du Nouvel An (emblématiquement viennois). Des événements typiques du monde de la grande distribution. Ce sont là les prémices des concerts à thèmes. Donc de nouveaux types de concerts pour tenter de conserver son public ou d'en acquérir un nouveau, une dynamique dans laquelle tous les orchestres se sont engouffrés.

En parcourant les plaquettes des saisons 2018/19 de dix-huit orchestres français, on est finalement saisi par le manque d'originalité de celles-ci tant elles semblent toutes vouloir se copier. Conséquence néfaste de l'anglicisme suivant : le Benchmarking. Inventé par la société Xerox dans les années 80, ce concept consiste tout simplement à espionner la concurrence et à en appliquer les trouvailles positives. De ce tour d'horizon il ressort deux tendances fortes que les orchestres exploitent avec plus ou moins d'intensité, mais sans qu'aucune n'y échappe : le naming et le ciné-concert.

Le « Naming » en guise de programme

Le « Naming » dernier anglicisme issu du marketing, consiste à nommer soit une marque soit, et c'est ici le cas du concert, un événement. Tout un programme. Car il ne suffit plus pour les orchestres d'annoncer que le public va entendre Mozart, Ravel ou Brahms, mais bien au travers de périphrases de s'essayer aux nouvelles techniques de marketing. Et dans ce genre le ridicule n'effraie pas. Pour les habitués des concerts, il est probable que les nouveaux communicants engagés par les orchestres paraissent fort éloignés de la culture dite légitime. Les jeux de mots les plus directs font presque rire, isolés de leur contexte.

On relèvera un champion du genre, l' :

Dans cette litanie il y a bien sûr un message caché, enfin pas toujours. Malheureusement, pour bien apprécier l'ampleur du phénomène, il ne faut pas se contenter du plus caricatural mais bien comprendre tous les effets de cette nouvelle technique commerciale. On trouve ainsi :

On croirait lire le menu d'une modeste brasserie…

Parfois quelques conservateurs osent encore nommer le compositeur :

Entre la « battle » et le compositeur qui s'invite à la maison, on assiste bien à la chute de celui-ci de son piédestal.

On remarquera, émergeant de ce qui semble être devenu le commun, la tentative de l' de se situer à son niveau d'élite parisienne qu'il souhaite conserver. Avec une plaquette aux visuels élégants alternant photos de paysage et de musiciens, il annonce ses concerts avec des mots relevant du champ émotionnel :

Après tout, si le public se sent tout autant attiré par ces nouvelles dénominations qu'auparavant, qu'il vient toujours écouter de la musique classique, alors que les noms des compositeurs ne trônent plus sur l'affiche mais sont remplacés par ces périphrases et thèmes oniriques, il n'y a là qu'une question de forme. Nouveau contenu, nouveau venu.

Le désormais fameux ciné-concert

Mais ce qui surprend plus c'est le changement de nature des concerts programmés, et donc ici plus une question de forme, mais de fond qui en est maintenant profondément modifié. Le « mainstream » actuel, en français – le courant dominant ou ce qui est conforme à la mode – c'est le désormais fameux ciné-concert. Trophée de cette quête, celui qui m'a permis de donner, moi aussi dans la figure de style (la paraphrase) en guise de titre de cette chronique : STAR WARS ! Ces concerts où l'on entend la célèbre B.O. composée par font l'objet de onze productions différentes pour un total de trente dates de concerts estampillées Star Wars, et ce pour la seule saison 2018/19. Pour les dix-huit orchestres observés, pas moins de quarante-trois productions différentes dans ce nouveau genre : le ciné-concert. Ici aussi un champion : l'. Neuf productions qui sortent du concert «  classique » et font de ce cross-over avec le cinéma, l'axe majeur de la saison.

Ça et là on retrouve en France la suite de la tournée Jane Birkin entamée la saison dernière, Chaplin qui fait les bons comptes des orchestres et le nouveau venu Ernest et Célestine dans deux orchestres. Lille innove avec Les triplettes de Belleville.

Entre divertissement et parcours initiatique 

Ce qui pourrait ressembler à un éloge n'est que l'évocation de produits de l'industrie du divertissement qu'est le cinéma. Ici ces films et spectacles populaires sont inscrits dans la programmation d'institutions culturelles nationales subventionnées par de l'argent public. Car la question est, face à cette situation : que viennent faire ces spectacles dans les saisons d'orchestres conçus pour diffuser de la culture «  légitime » ? (cf. Pierre Bourdieu) En effet ces institutions sont subventionnées par de l'argent public pour répondre à l'obligation constitutionnelle d'accès à la culture des citoyens français (1). Il semble étrange qu'elles se substituent ou reprennent l'activité d'entreprises du show business. Car la subvention publique a deux missions : la conservation et la diffusion des œuvres immatérielles de l'esprit. Pourquoi alors ce mélange des genres entre populaire et élitaire (nouvelle acception du mot classique) ? Ce cinéma maintenant intégré dans les programmations de nos orchestres, notamment hollywoodien et qui se définit lui-même de « entertainment » c'est à dire de divertissement, relève de ce que déjà en 1961 Hannah Arendt dénonçait ainsi : « en vue de persuader les masses qu'Hamlet peut être aussi divertissant que My Fair Lady et, pourquoi pas, tout aussi éducatif ». Le public attiré (et le succès en atteste) par ces nouveaux spectacles saura, pourra, voudra t-il venir entendre Bach, Mozart, Ravel, voire Debussy, Bruckner, Mahler etc. ? Ou alors va t-il seulement contribuer à bonifier les statistiques de billetterie des orchestres ?

Malheureusement nous avons déjà la réponse par la parole de l'administratrice générale de l', lors d'une émission radio récente sur la RTS : Magali Rousseau «  les gens qui viennent pour Le Seigneur des anneaux ne reviennent quasiment jamais derrière sur des concerts normaux » (2).

Si seulement ces démarches avaient un caractère pédagogique et ne consistaient pas, comme c'est dans ces exemples le cas, à produire juste de la bande sonore ; si ces concerts faisaient part des liens étroits qui unissent la musique de film avec le répertoire classique en montrant comment s'inspire ou cite Stravinski, Puccini, Korngold, Dvořák ; si le billet était couplé pour le même prix avec un concert classique alors on comprendrait qu'il ne s'agit pas de simple divertissement mais bien de création de parcours initiatique musical, qui alors prendrait tout son sens.

Dans cette démarche l'on doit noter l'effort substantiel que fait l'Opéra de Saint-Étienne envers les plus jeunes spectateurs et donc futurs abonnés espérés. 15 spectacles et 25 dates sont prévus dans ce but. Tout une démarche sur le sensible permettant aux enfants de se construire un corpus émotionnel propice à la constitution d'une vie de spectateur.

Pour une fois parsemée d'anglicismes, cette chronique les met en avant justement pour démontrer quels impacts ont ces techniques de « marketing » dignes des plus grands groupes industriels attachés aux résultats immédiats. Pourtant d'excellents ouvrages sur les pratiques commerciales dans la culture existent, et les ayant lus, je n'en retrouve aucune trace dans ces nouveaux concerts qui font l'objet de mes propos. S'il est évident que ces moments de ciné-concerts restent agréables et festifs (ce qui est le propre du divertissement) ils ne relèvent pas de pratiques culturelles nécessitant des subventions publiques au même titre que le concert symphonique, la musique de chambre ou d'opéra, permettant de rendre le prix du billet supportable par le spectateur.

C'est là tout l'enjeu de la séparation des genres, qui dorénavant se confondent et font craindre pour la pérennité du modèle culturel subventionné français.

(1) Préambule de la constitution du 27 octobre 1946 article 13 : « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. »

(2) Minutage 17:35 sur https://www.rts.ch

 

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la rédaction.

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