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Les couleurs de Montréal avec Nagano à la Philharmonie

En tournée à Paris avec l', déploie les couleurs et la vitalité de Jeux tout en retenue, avant d'accompagner la contralto superbe de gravité dans les Wesendonck Lieder, puis d'achever avec un Sacre du Printemps de maturité.

Maintenant à Hambourg une large partie de l'année, est également directeur musical de l', avec lequel il s'est fait remarquer ces dernières années par des enregistrements d'importances chez Decca Classics, tels A Quiet Place de Bernstein ou L'Aiglon de Honegger et Ibert.

Il entre à la Philharmonie de Paris en cette fin d'hiver d'un pas décidé, pour rejoindre le podium et introduire le concert par les Jeux de Debussy. À la manière de Pierre Boulez, Nagano traite l'ouvrage avec toute l'intelligence et la finesse que l'on peut lui donner. L' se montre particulièrement impressionnant dans les coloris clairs des bois et la limpidité des cordes, à la manière d'un grand orchestre français. Clarinettes et flûtes en imposent par leurs clartés, interrompus systématiquement pour suivre la partition discontinue, sans pourtant aucun à-coup ni geste brusque de la part du chef. Le premier violon se démarque par sa douce personnalité, jamais trop mise en avant, à l'image de celle du chef, toujours discret et souple lui aussi pour porter le message de la partition.

Nagano revient avec , qui déclenche les bravos dès son arrivée sur scène. Que l'on fasse ou non partie des aficionados de l'artiste, difficile de trouver ce soir un point à remettre en cause, si ce n'est peut-être l'accent de quelques mots allemands et le vibrato qu'on lui connaît sur les phrases longues. Pour le reste, la contralto parvient à développer la splendeur des Wesendonck-Lieder dès la première phrase, avec un timbre plus mûr et donc plus profond aujourd'hui que lors de ses prestations wagnériennes passées. Le timbre grave en même temps que chaud porte l'œuvre sans l'alourdir, magnifiquement accompagné par un Nagano concentré à développer le flux wagnérien. Le solo du premier violon en fin de premier lied, puis celui du premier violoncelle au deuxième, met encore plus en valeur que dans Jeux la qualité de soliste des instrumentistes canadiens. Le troisième lied confirme cette impression par le splendide thème d'amour du premier alto, tandis que la ductilité des bois répond à des cordes liquoreuses, ensorcelantes sur le thème de solitude de Tristan au début d'Im Treibhaus.

Après l'entracte, place au Sacre du Printemps, proposé comme toujours par Nagano dans sa version révisée. Les augures printaniers laissent la part belle aux bois, impliqués dès leur première intervention, du basson au cor anglais, avec un beau soutien de la clarinette basse. Globalement, la petite harmonie maîtrise parfaitement sa partition, tandis qu'ici, les cordes et surtout les cuivres montrent parfois quelques limites, à l'instar des orchestres français ou de celui de la Suisse Romande dans les versions des années 1960, quand ces formations n'étaient pas encore préparées à jouer régulièrement ce type d'ouvrage. La rigueur rythmique et la maturité de Nagano permettent pourtant de ne jamais perdre le fil. Mais la prestation n'atteint pas celle entendue en 2016 à la Laeiszhalle avec son Philharmonisches Hamburg, où la compression des cordes apportait un surplus de puissance au Jeu du Rapt et de pression au Jeux des Cités rivales. La seconde partie permet un léger repos avant la reprise, avec une petite harmonie là encore remarquable, ainsi que de superbes trompettes bouchées, fascinantes dans la capacité à paraître lointaine. La Danse Sacrale achève l'ouvrage avec un bel appui des percussions, évidemment aidées par le choix de la version 1947 plutôt que celle de 1913.

Le concert semble s'arrêter là, tant Nagano rappelé devant un parterre en partie levé n'hésite pas à multiplier les aller-retours en coulisse et à retourner l'orchestre pour saluer l'arrière-scène. Il remonte pourtant une dernière fois sur l'estrade pour un bis copieux autant que splendide. Les contrebasses, très sollicitées et râpeuses en fin de Sacre, introduisent le bis, pour lequel l'apparition du basson solo ne laisse plus aucun doute : il s'agit de La Valse de Ravel. Ici encore, les couleurs claires de l'Orchestre Symphonique de Montréal attirent, en même temps que les accents jazzy des cuivres montrent que cet ensemble ne sonne pas seulement français, mais possède aussi des sonorités typiques d'Outre-Atlantique.

Crédit photographique : © Getty Images / Felix Broede

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