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La réhabilitation du chef d’orchestre Anatole Fistoulari continue

Eloquence Australie nous gratifie enfin de la version Decca officielle de ces merveilles que sont les toutes premières gravures des trois ballets de Tchaïkovski, augmentés de la Symphonie n°4 en fa mineur, par ce chef bien trop peu connu de nos jours : .

La vie du chef d'orchestre russe (1907-1995), devenu citoyen britannique en 1948, est digne d'un roman. À l'âge de sept ans à peine, il est réputé avoir dirigé la représentation de la Symphonie n° 6 « Pathétique » de Tchaïkovski de mémoire à l'Opéra de sa ville natale de Kiev… À treize ans, il dirige Samson et Dalila de Saint-Saëns à Bucarest. Jeune homme, il parcourt l'Europe et l'Amérique du Nord avec la basse Féodor Chaliapine et Léonide Massine qui lui confie en 1937 la direction des Ballets Russes de Monte-Carlo. Échappant au continent européen pendant la Seconde Guerre Mondiale, il vient en Angleterre où il épouse bientôt la seule fille survivante de Gustav Mahler, Anna, et est nommé chef principal du London Philharmonic Orchestra.

À l'aube du microsillon, est le premier à graver pour Decca une quasi-intégrale du Lac des Cygnes et de La Belle au Bois dormant, chacune sur deux microsillons, à une époque où l'on ne disposait que de la brève suite d'orchestre traditionnelle de chacun de ces ballets ; ce n'est que plus tard qu'Antal Doráti réalise les premières véritables intégrales des trois ballets chez Mercury. Car il faut bien avouer que la version Fistoulari du Lac des Cygnes est loin d'être complète, puisque environ 50 minutes de musique sont omises, même s'il s'agit apparemment de la fidèle représentation sonore intégrale de la production Petipa/Ivanov/Drigo donnée à Covent Garden en 1952 : la plupart des reprises sont escamotées ; certains numéros, dont la célèbre Valse au début de l'Acte I, sont déplacés d'un acte à un autre ; d'autres, comme le n° 22 (Danse napolitaine/vénitienne) avec son célèbre solo de piston, sont simplement supprimés, alors que curieusement deux des trois Interpolations de Riccardo Drigo (orchestrations de Valse bluette et Un poco di Chopin pour piano de Tchaïkovski), ajoutées pour la production Petipa/Ivanov/Drigo de 1895 à Saint-Pétersbourg, y sont incluses, rendant cet enregistrement absolument particulier et unique en son genre.

Le cas est différent pour Casse-Noisette pour lequel Decca n'a pas alloué deux microsillons, mais un seul : Fistoulari a enregistré la suite d'orchestre traditionnelle op. 71a bien connue, mais a voulu la compléter par une seconde suite d'autres extraits essentiels de son choix, qu'il fait se succéder dans le respect du rapport des tonalités, et pas nécessairement dans la logique du déroulement de l'action. Cette seconde suite comporte les numéros suivants du ballet, dans cet ordre : Scène (Acte 1, n°1) et Coda du Pas de Deux (Acte 2, n°14) ; Scène dansante (Acte 1, n°4), Scène et Danse du grand-père (Acte 1, n°5) ; Andante maestoso du Pas de Deux (Acte 2, n°14) ; Valse des flocons de neige (Acte 1, n°9) ; Scène (Acte 2, n°10) et Chocolat (Danse espagnole) du Divertissement (Acte 2, n°12) ; Valse finale (Acte 2, n°15). Par ailleurs, dans la première suite pourtant archi-connue, on constatera assez curieusement deux petites coupures dans la Marche initiale (n°2) et une autre dans la Valse des Fleurs (n°13).

L'excellent label japonais Opus Kura nous avait déjà enchantés en rééditant ces gravures de manière très acceptable sous références OPK7024/5 et OPK7041/2, aux chroniques desquelles nous référons le lecteur, mais les exemplaires microsillon dont Opus Kura disposait n'étaient pas toujours de première fraîcheur, notamment pour La Belle au Bois dormant, tandis que cette édition Decca a évidemment le mérite d'avoir fait appel aux bandes originales bien conservées pour les transferts sur CD, et le résultat sonore est incomparable. De plus, l'édition australienne nous offre opportunément ce complément de taille qu'est la Symphonie n° 4 en fa mineur op. 36, enregistrée en janvier 1971 selon le procédé Decca très (trop ?) spectaculaire Phase 4 Stereo, issu, on s'en serait douté, d'une initiative envahissante et perturbante de London, la branche américaine du label anglais Decca… Heureusement, dans le cas qui nous occupe, les nombreuses saturations qui dénaturaient les gravures de Stokowski et d'autres dans cette série sont rarissimes ici, et l'interprétation très personnelle d'un Fistoulari à l'automne de sa carrière discographique, est toute de nuances et de grandeur, et prend son temps, loin du moindre effet spectaculaire : on croit connaître les moindres méandres de cette œuvre si populaire, on est tout simplement étonné de la redécouvrir !

Faites donc entière confiance à Anatole Fistoulari : avec les interprétations exhaustives de ce grand chef d'orchestre injustement sous-estimé, vous serez transportés avec authenticité à une autre époque, celle de la magnificence des Théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg et de leur musique, qu'elle soit de ballet ou symphonique.

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