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Rareté à Nancy : Les Hauts de Hurlevent en création scénique française

Intéressante découverte à l'Opéra national de Lorraine avec l'unique opéra de , bien plus connu pour ses musiques de films. La production soignée d' et une distribution jeune et enthousiaste assurent le succès du spectacle.

Non, n'est pas uniquement le célèbre auteur des musiques des films d'Alfred Hitchcock, d'Orson Welles et de maints autres immenses réalisateurs du septième art (entre autres François Truffaut, Brian De Palma jusqu'à Martin Scorsese pour Taxi Driver). Il composa également pour des séries télévisées et, impressionné par Ravel, Debussy et surtout Berlioz, s'essaya à tous les genres de la musique « savante », le piano excepté. Son seul opéra Les Hauts de Hurlevent, composé de 1943 à 1951, n'eut pas les honneurs d'une création scénique de son vivant et dut attendre 1966 pour une version de concert à Londres, 1982 pour une version mise en scène mais abrégée à Portland. En France, le Festival de Radio-France à Montpellier le donna en concert en 2000 mais l'Opéra national de Lorraine fait œuvre de défricheur avec cette première réalisation scénique sur notre territoire. L'occasion aussi de marquer dignement la fin officielle des dix-neuf années passées à sa tête par Laurent Spielmann, qui a cependant assuré la programmation jusqu'à fin 2019.

Du foisonnant roman d'Emily Brontë, la librettiste Lucille Fletcher n'a retenu que la première partie et conclut sur la mort de Catherine Earnshaw sans s'intéresser à la génération suivante. Elle suit assez fidèlement le texte, y compris dans sa construction en flash-back à travers un prologue, où Mr Lockwood reconstitue l'histoire des années plus tard grâce au journal de Catherine et au récit de Nelly. Dans la partition de plus de 2h30, on reconnaît très vite la patte de , tout particulièrement dans ce prologue très sombre, où suinte la menace et monte l'angoisse. L'écriture est très mélodique, se fait imitative quand il s'agit de la Nature, ménage de véritables airs aux chanteurs. De brusques crescendos des cordes, le thème serpentin du fantôme de Catherine aux bois, les à-coups violents des vents relancent l'intérêt. L'œuvre est de qualité mais souffre de quelques longueurs, notamment dans l'agonie finale de Catherine. Si le métier est certain, il manque une touche de génie pour y insuffler musicalement une émotion plus prégnante.

Le très beau décor de Madeleine Boyd suggère les collines du Yorkshire par l'ondulation de lattes de bois devenant plancher à l'avant-scène, pour des intérieurs où la Nature est toujours partie prenante. Quelques éléments domestiques disséminés (fauteuil, horloge, piano) et des costumes très gentry d'époque victorienne le meublent. Avec l'aide des somptueux éclairages de Matt Haskins et des vidéos d'Anouar Brissel projetées sur l'immense cyclorama de fond de scène, les saisons et les climats se succèdent en s'accordant aux atmosphères ; beau temps radieux, pluie, neige, coucher de soleil, nuit étoilée, envol des oiseaux composent ainsi des tableaux très poétiques. Fort opportunément, l'utilisation de jeunes figurants parfaitement convaincants vient rappeler l'enfance insouciante et heureuse de Catherine et Heathcliff. Très physique, la direction d'acteurs d' apporte de l'action, varie les entrées, soigne les gestes et les attitudes mais ne révèle rien des motivations et des psychologies.

En majeure partie anglophone et plutôt jeune, la distribution assure la parfaite intelligibilité du texte comme l'adéquation physique aux personnages. est impressionnant d'intensité, de puissance, de rage et de douleur en Heathcliff, qu'il chante avec une plénitude et une homogénéité vocales constantes. Dans le rôle de Catherine, la voix plus gracile de la soprano montre ses limites dans des aigus souvent proches du cri et qui tendent à plafonner. Elle se rattrape magnifiquement après l'entracte avec des demi-teintes et des sons filés parfaitement en situation et de la plus belle eau. Pour Hindley, est impeccable d'arrogance et de morgue, voix cinglante aux accents de violence et au timbre sombre idéaux. Seul ténor au milieu de voix masculines graves, en Edgar Linton soigne la ligne, le lyrisme et une certaine séduction, comme dans son air aux accents très « musical » qui ouvre le troisième acte. Sa sœur Isabella trouve en une interprète sensible et fervente, qui donne toute la mélancolie à son air du quatrième acte, peut-être le plus beau de la partition. offre à la servante Nelly l'humanité et la chaleur de sa voix de mezzo-soprano douce et rassurante, tandis qu'Andrew McTaggart, parfaitement terrien et bourru mais timbre élimé et graves absents, emporte moins l'adhésion en domestique Joseph. Limité au prologue, retient néanmoins l'attention en Mr Lockwwod par son éloquence et son engagement. Depuis la coulisse, Inna Jeskova donne ampleur et mystère aux courts appels du fantôme de Catherine.

Geste ample et net, apporte soutien aux chanteurs qu'il ne couvre jamais, assure la cohésion des ensembles et soigne voire intensifie les couleurs instrumentales. L'orchestre symphonique de Nancy y répond par sa concentration, avec des bois impeccablement insinuants et des vents à la vigueur remarquable, avec aussi des cordes un peu grêles pour le lyrisme des grandes envolées mais parfaites pour l'ombre opaque du prologue. Le Chœur de l'Opéra national de Lorraine n'a qu'une très courte intervention pour un cantique de Noël donné depuis l'arrière-scène, qu'il assume parfaitement.

Crédits photographiques :  (Catherine) et (Heathcliff) © C2images pour l'Opéra national de Lorraine

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