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Kimin Kim époustouflant dans Le Corsaire à Vienne

La reprise du Corsaire de par le Ballet de l'Opéra de Vienne met en valeur une troupe de haut niveau, capable de donner toute sa saveur à ce ballet complexe. En personnalité invitée, le danseur du Mariinsky s'impose dans le rôle de Conrad avec une virtuosité sidérante.

Lorsqu'il s'élance et prend son envol, un murmure d'étonnement et de louange s'empare du public.  Peu de danseurs au monde sont capables, en un seul saut, de susciter une telle ferveur. En invitant à danser dans son Corsaire offre au public viennois un casting exceptionnel. A ses côtés, , Principale du ballet de Vienne formée à l'Académie Vaganova, interprète le rôle de Médora.

Ce n'est pas un hasard si du Corsaire l'on ne connait généralement que le pas-de-deux central de Conrad et Médora, morceau de bravoure et pièce à concours et galas. Créé en 1856 par sur une musique d' et un poème de Lord Byron, Le Corsaire est un ballet-pantomime romantique à l'intrigue foisonnante et difficilement lisible. Après Jean-Guillaume Bart (2007) et Kader Belarbi (2013), n'a pourtant pas hésité à s'en emparer, en 2016, revenant à une version proche de celle de Petipa et au classicisme assumé.

Le rideau s'ouvre sur un décor de tempête, au milieu duquel un navire, battu par les flots, semble prêt à faire naufrage. Conçu par dans une esthétique romantique, le décor s'attache à créer un univers complet, aux contours flous comme entourés de brume, propice à susciter la rêverie. Subtilement, un véritable bateau se superpose à l'image, et l'on aperçoit les marins s'animer au milieu des flots déchainés. Sur le rivage, le marchand d'esclave, Lanquedem, enlève un groupe de jeunes filles, parmi lesquelles Médora et son amie Gulnare.

Dans la veine orientaliste, le décor est ensuite celui du bazar où Lanquedem cherche à vendre comme esclaves les jeunes femmes. Lanquedem présente Médora à Conrad, qui s'en éprend au premier coup d'œil. Il souhaite la racheter mais Lanquedem la cède au plus offrant, le riche Seyd Pascha.

Si le premier acte souffre de quelques longueurs, il offre de jolies variations notamment à Gulnare et Médora et plante le décor. Les danses de caractère, interprétées par le fougueux en Birbanto et Ionna Avraam en Zulméa, sont brillantes et enjouées. campe d'emblée un Conrad élégant, pirate charismatique au cœur tendre.

Le deuxième acte constitue sans conteste le cœur et l'apothéose du spectacle. C'est là que se situe le pas-de-deux, rendu célèbre par Margot Fonteyn et Rudolph Noureeev, sur l'un des airs aux couleurs romantiques les plus connus du ballet. Il représente le couronnement de l'amour de Médora et de Conrad, après les péripéties du premier acte.

Ce pas-de-deux est un morceau choisi, archétype du style de Petipa, qui a inventé la structuration du pas-de-deux en un adage, suivi des variations masculine et féminine et d'une coda finale. Manuel Legris a truffé la chorégraphie de difficultés techniques redoutables. Kimin Kim et parviennent à trouver le juste équilibre entre perfection technique, lyrisme et brio. Dans son solo, Kimin Kim est époustouflant. Son élévation dans les sauts est exceptionnelle, tout comme la vitesse et la précision de ses pirouettes. L'influence de l'école russe est visible dans le haut du corps, les cambrés et les ports de bras expressifs, que viennent nuancer la délicatesse de ses bras et la justesse de son partenariat.

n'a pas à rougir de la comparaison. Elle se révèle une interprète remarquable, capable de surmonter avec brio la redoutable diagonale de piqués en tournant et développés arabesque, le manège ainsi qu'une série de fouettés doubles et triples. Seule une légère crispation des épaules dans les passages les plus techniques altère  la pureté des lignes.

Le troisième acte a pour cadre le harem de Seyd Pascha, dont Gulnare est devenue la favorite. La variation des trois odalisques est interprétée par une distribution de premier choix, avec le trio formé par Nikisha Fogo, Natascha Mair et Nina Tonoli. Un rêve de Seyd Pascha nous transporte dans le « Jardin animé », scène romantique ajoutée par dans sa première version du ballet en 1863. A l'instar du rêve de Don Quichotte, qui donne lieu à la scène des dryades, ce subterfuge scénique offre une parenthèse enchantée où les danseuses du corps de ballet, en tutus plateaux roses, brandissent au-dessus de leurs têtes des cerceaux de fleurs. Cette scène, qui se situe en marge de l'intrigue, présente le risque d'apparaître désuète ou kitsch. Ici, toutefois, la beauté du décor et des costumes aux tons pastels de , l'harmonie du corps de ballet, évitent cet écueil.

Pour ses débuts en tant que chorégraphe, Manuel Legris s'inscrit en héritier de Rudolph Noureev et signe un Corsaire dans la grande tradition classique, fidèle à la version de Petipa et au livret d'origine. Si la compréhension de certains passages reste un peu difficile sans sous-texte, le chorégraphe est parvenu à rendre l'ensemble de l'œuvre cohérente, les personnages caractérisés et les tableaux vivants.

Au-delà de la prouesse technique de Kimin Kim, le travail de la compagnie – corps de ballet et solistes – est mis en valeur par une chorégraphie intelligente qui montre la pertinence de remonter des grands ballets romantiques de nos jours. Ce dont Manuel Legris a fait une nouvelle démonstration probante avec son excellente version de Sylvia.

Crédits photographiques : © Wiener Staatsballett / Ashley Taylor

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