- ResMusica - https://www.resmusica.com -

L’oiseau de feu, formidable théâtre sonore de Mirga Gražynitė-Tyla

Directrice musicale de l'orchestre de Birmingham depuis 2016, la jeune cheffe Mirga Gražynitė-Tyla enflamme également musiciens et public.

Tant de programmes de concerts se contentent d'accumuler des œuvres hétéroclites ; pour son étape à Luxembourg, le , lui, propose une soirée où la cohérence musicale est évidente même pour le plus inattentif des auditeurs ­– dans le travail du son, mais aussi dans le grand spectacle sonore. Le Concerto românesc de György Ligeti est encore pesamment marqué par l'influence de Bartók et par la chape de plomb stalinienne, même si les chefs-d'œuvre des années à venir pointent déjà leur nez ici et là. L'interprétation du CBSO et de sa directrice musicale ne refuse pas les plaisirs simples du folklore transylvain que la partition offre à profusion, avec une ivresse sonore qui n'interdit pas les aspérités que Ligeti y dissimule à plaisir.

Pas moins spectaculaire, le Concerto n° 5 de met en vedette . Elle s'y livre avec une énergie qui ne surprendra personne, avec un efficace sens de l'humour musical que Prokofiev distille généreusement. Son écriture pianistique n'oublie pas que le piano est après tout une sorte de percussion ; se saisit de l'occasion avec gourmandise, mais il n'est pas sûr que ce soit toujours au bénéfice de l'œuvre ; la virtuosité sans effort apparent dont elle fait preuve mérite l'admiration, mais ce jeu presque constamment fortissimo, écrasant les touches du Steinway, est trop monotone pour rendre pleinement justice à l'œuvre.

Malgré les généreux bis que lui offre, c'est la seconde partie du concert consacrée à qui suscite le plus d'enthousiasme de la part du public, à raison. L'Oiseau de feu est un révélateur idéal pour un orchestre et un chef, et Mirga Gražynitė-Tyla en propose une interprétation proprement ébouriffante. Cet Oiseau de feu ne se dépasse qu'à peine les 45 minutes habituelles, mais il donne l'impression que la jeune cheffe prend son temps. Le théâtre est présent de bout en bout ; le primitivisme du conte avec sa naïveté réjouissante est avec la rouerie moderniste de Stravinsky en un équilibre instable dont les paramètres ne cessent d'être réinventés. On peut admirer le travail de détail qui donne à chaque épisode sa plénitude sonore ; elle sait donner à telle mélodie des cordes un galbe généreux, mais aussi passer sans transition d'une atmosphère à une autre, et son travail rythmique va bien au-delà de la simple précision. Il y a là un plaisir enfantin à trembler devant le danger qui rôde, à se débattre avec l'oiseau, à se laisser surprendre par les brusques explosions de l'orchestre, et il y a aussi un art sonore d'une inouïe invention qui place le spectateur dans la position enviable des premiers spectateurs de 1910. L'orchestre atteint des sommets de plénitude sonore, mais c'est tout juste si on a le temps de goûter sa performance tant la force démiurgique de l'interprétation coupe le souffle.

Depuis 1998, on avait eu tendance à voir dans le CBSO d'abord l'ancien orchestre de Simon Rattle ; désormais, il a retrouvé avec Mirga Gražynitė-Tyla une artiste capable de le porter sur les sommets.

Crédit photographique : © Sébastien Grébille

(Visited 854 times, 1 visits today)