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Les adieux de Daniel Harding à l’Orchestre de Paris

Après trois ans à la tête de l', tire sa révérence avec ce concert d'adieu qui met en miroir, dans un contraste surprenant, la douloureuse Symphonie n° 4 de Sibelius et le très virtuose Concerto pour violon de Brahms, avec en soliste. Un programme très symbolique qui résume à lui seul les états d'âme bipolaires qui marquèrent le cours d'une collaboration rapidement avortée.

Neuvième directeur musical de la phalange parisienne (après Munch, Karajan, Solti, Barenboïm, Bychkov, Dohnányi, Eschenbach et Järvi) le chef britannique, élève d'Abbado, Ozawa et Rattle, fit ses débuts avec l' en 1997, à l'âge de 22 ans ! Une rencontre initiale peu satisfaisante se soldant par un froid réciproque qui se poursuivra jusqu'en 2014, avant que la reprise progressive d'une collaboration plus durable ne soit scellée en 2016 par une inattendue direction musicale (2016-2019) qui prend fin aujourd'hui. Si Järvi avait mis l'accent sur la dynamique de l'orchestre, c'est sans doute dans une approche plus intellectualisée des œuvres, dans la clarté de la mise en place, dans l'attention aux détails de l'orchestration et dans la transparence orchestrale qu'il faut chercher la touche toute personnelle de . On lui saura gré, en trois ans, d'avoir su élargir le grand répertoire allemand (notamment à Schumann), d'avoir donné un nouvel élan à la musique anglaise (Benjamin, Britten), d'avoir favorisé nombre de créations contemporaines (Widmann, Birtwistle) ainsi que de nouvelles entrées au répertoire de l'orchestre (Adès, Abrahamsen, sans oublier la Dixième de Mahler, les Illuminations de Britten ou Manfred de Schumann…).

Pour l'heure, c'est sur une formidable entame orchestrale toute en nuances que s'ouvre le Concerto pour violon de Brahms. Clarté de la mise en place, transparence de la texture, tension, souplesse du phrasé, rien ne manque dans cette interprétation où la passion et la poésie du violon de le disputent à la somptuosité d'un accompagnement orchestral très complice, dans un mélange éminemment brahmsien de violence et de mélancolie. La cadence du I affiche une magistrale maîtrise du violon en déployant une sonorité à la fois ronde et hargneuse. L'Adagio fait la part belle au hautbois d' dans une mélodie ample et sereine sur contrechants de cor () et de basson (Marc Trénel) tandis que le violon offre un moment de grâce sans pathos excessif. Le Final jubilatoire et dansant renoue avec les accents tziganes soutenus par un orchestre très réactif, pour conclure une magnifique interprétation qui manquera peut-être, pour certains, d'un soupçon de sensualité. La traditionnelle Sarabande de Bach répond en bis aux rappels du public.

Mal aimée et rarement donnée en concert, la « tritanesque » Symphonie n° 4 de , bâtie sur un intervalle de triton, dessine un tout autre paysage, noir et tendu, douloureux et épuré. en fait une longue et déchirante méditation, conduite sur un tempo lent et lourd, en parfaite adéquation avec l'esprit de l'œuvre composée dans les années 1910-1911, alors que le compositeur est en proie aux doutes sur lui-même et sur son œuvre après qu'il a été opéré d'un cancer de la gorge. Contrairement à Mahler où l'ensemble du corpus symphonique forme un tout cohérent visant à la construction d'un monde nouveau, chaque symphonie de Sibelius est une entité en soi, se différenciant des autres.

La Symphonie n° 4 comprend quatre mouvements enchaînés dont le Tempo molto moderato initial débute par le vrombissement sidérant des contrebasses, bientôt relayé par la cantilène déchirante du violoncelle solo. Puis c'est le tutti des cordes chargées de désolation à l'origine d'un lyrisme balbutiant et épuré qui ne trouvera jamais son but, confiné dans une impossibilité de dire, sans cesse troublé par les aphorismes des vents. Le Scherzo qui lui fait suite apporte un court intermède joyeux et dansant dans le dialogue du hautbois et des cordes sautillantes. La menace réapparait, plus lourde encore, dans le Largo d'allure rhapsodique, empreint d'attente et de tension où se mêlent les sonorités des cordes graves et de la petite harmonie dans une lecture à la profondeur quasi religieuse, pleine d'une ferveur inquiétante. Le Final enflammé et envoûtant fait valoir tous les détails de l'orchestration. Percussions et vents y scandent un long crescendo impressionnant qui conduit à l'acmé d'un dramatisme ascétique avant le retour au silence.

Heureuse fin de mandat qui se termine par un superbe concert. Daniel Harding retrouvera l' la saison prochaine, en tant que chef invité, dans Elias de Mendelssohn en avril 2020.

Crédit photographique : Daniel Harding © Julian Hargreaves

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