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Laurent Pelly à Lyon : mais qui est Barbe-Bleue ?

L'Opéra de Lyon rit jaune avec le Barbe-Bleue d'Offenbach en confiant à le soin de questionner l'identité contemporaine du sire le plus triste des contes de notre enfance. Une question sans réponse ?

Barbe-Bleue (entre Gilles de Rais et Henry VIII) et son avatar féminin la Comtesse Báthory : on voit très bien ce que furent ces tueurs en série de l'Histoire. En revanche, de nos jours, au-delà des mésaventures d'un homme politique français candidat à la présidence de la République et d'un magnat de l'industrie cinématographique hollywoodienne, on ne voit pas bien (et fort heureusement) qui pourrait être Barbe-Bleue, cet érotomane friand de noces rouges. Est-ce pour cette raison que, et ce sera notre seule réserve scénique, peine à faire de son Barbe-Bleue autre chose qu'un simple divertissement ? Une image finale forte, du type de celle qui scellait son formidable Viva la mamma de 2017 sur cette même scène, aurait davantage inscrit dans la mémoire une production certes bien réglée mais qui manque d'un vrai frisson. La chiche reprise de « Je suis Barbe-Bleue ô gué », déjà un peu courte musicalement parlant (Barbe-Bleue n'égale pas le chef-d'œuvre du genre, La Belle Hélène, de deux ans son aîné), aurait nécessité de la scène un soutien autrement marquant que le banal d'un chœur s'avançant sans crier gare sous un bien prosaïque tomber de rideau. Il est vrai qu'au pays d'Offenbach les morts ne le sont pas et que la vie à tout prix l'emporte. Peut-être nous faut-il aussi nous résigner à reconnaître, avec Perrault, que cette histoire « est un conte du temps passé » qu' « il n'est plus d'époux si terrible », que « près de sa femme on le voit filer doux ». et sa complice se contentent donc d'une satire du Pouvoir, ce qu'est Barbe-Bleue, ce qu'étaient souvent les œuvres d'un sujet du Second Empire nommé .

Le décor de fait le grand écart entre le leste d'une paysannerie façon L'amour est dans le pré (tôle ondulée, tas de fumier, tracteur orange….) et le désabusement d'une aristocratie de type monégasque. Tout oppose les deux univers, même leur médiatisation, les premiers de façon Détective (de grandes coupures racoleuses cadrent le décor), les seconds sous les auspices d'une presse à sensation de type Paris Match (dont les unes, rebaptisées Altesse revue, griffent très élégamment le mur de cour). Les uns et les autres se retrouvent néanmoins sur le sujet amoureux, chacun sommé d'épouser sa chacune au finale d'un opéra bouffe qui prône la perspective d'une ère nouvelle : celle de « l'union du palais et de la chaumière ». Vachard et lucide, mais révolutionnaire dans sa façon de railler davantage les grands que les petits, Offenbach affirme son rêve d'une utopie sociale.


C'est la onzième (et pas la dernière) fois que Laurent Pelly met en scène Offenbach. La première (Orphée aux enfers) remonte à 1997. C'était à Lyon, déjà. Un style est là aujourd'hui, dans la tentation chorégraphique de ne jamais faire chômer le chœur, dans l'appétence à croquer les monarques d'opérette (hilarante scène du baisemain). Quelques très beaux tableaux : l'arrivée de la Jaguar noire de l'ogre dans la cour de la ferme par un soir d'orage, le premier tableau de l'Acte II avec une scène de courtisans remarquablement réglée, le second avec les cases réfrigérées où se prélassent les femmes disparues. Mais tout cela ne fait pas oublier la mise en scène plus originale de Waut Koeken vue à Nancy et à Nantes en 2014.

La direction de est souple, vivante, attentive à l'orchestration toujours intéressante d'Offenbach, mais les perceptibles décalages de ce soir d'avant-dernière rappellent la virtuosité de la machine Offenbach. Un chœur et une distribution de joyeux drilles : en Prince Saphir à la mèche rebelle parce-qu'il-le-vaut-bien, une Fleurette exquise (), de cauteleux mais in fine bienveillants entremetteurs ( et en Popolani et en Comte Oscar), une Reine Clémentine () très Jacqueline Maillan, un Roi Bobèche en surchauffe (), une accorte Boulotte (, la plus fêtée aux saluts), un bel ensemble de femmes mortes issues du Chœur de l'Opéra de Lyon. Le rôle de Barbe-Bleue (d'un abord sinistre en cuir noir et crâne semi-ras) ne semble pas de tout repos pour dont la voix, étonnamment indécise ce soir, met une bonne partie de la représentation à maintenir la vaillance, à recouvrer l'éclat et les couleurs qui sont les siennes. Peut-être lui aussi peine-t-il à répondre à la question : qui est Barbe-bleue ?

Crédits photographiques : © Stofleth

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