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Au Verbier Festival, rendez-vous chez les titans

Rencontres programmées ou inédites, la scène du Verbier Festival s'attache à mettre en présence des artistes qui ne se croisent ordinairement que dans des hôtels ou des aéroports. Ici, ce sont des retrouvailles artistiques parfois ratées, souvent épatantes. Visite chez les titans que sont , et .

Depuis quelques années, le Verbier Festival accueille l'étrange et singulier pianiste russe . Au moment d'éditer le programme du festival, seul le nom du pianiste apparaît. Il sera là mais, personne ne sait ce qu'il interprétera. Il est engagé pour lui-même, pour ce qu'il représente dans le monde de la musique et celui du piano. Jusqu'à cette année, il refusait de jouer dans la grande tente des Combins pour des raisons d'acoustique du lieu. Ce soir, il a accepté de s'y produire à certaines conditions. Pas de photographes (mais ça, c'est traditionnel avec Sokolov) et les écrans géants disposés sur les côtés de la scène seront éteints afin de ne pas perturber l'attention des spectateurs. Heureuse initiative applaudie par une partie du public à son annonce. Pourtant, ces exigences justifient-elles que enchaîne, sans aucune pause, comme s'il s'agissait de la même oeuvre, la Sonate en do majeur n° 3 op. 2 avec les Onze bagatelles op. 119 de Beethoven, et en seconde partie, les deux Klavierstücke op. 118 et op. 119 de Brahms ? D'aucuns approuveront cette initiative reconnaissant à Grigory Sokolov un piano si intérieur qu'il nous transporte au-delà même de la musique et surtout, des conventions qui la régissent.

Son récital, au programme identique à celui relaté dans le compte-rendu des Nancyphonies n'amène d'autres commentaires que l'évidence de ce formidable interprète. On est cependant frappé par sa capacité, alors qu'il pose un accord pianissimo presque imperceptible de le faire suivre d'un autre encore plus ténu, plus aérien que le premier. Du grand piano. Comme à son habitude, Grigory Sokolov offre généreusement six bis d'une densité interprétative magnifique et d'une qualité pianistique d'exception. Du sensible Deuxième Impromptu op. 142 de Schubert à la brillantissime Danse des sauvages de Rameau jamais la tension, la musicalité ne s'est relâchée.

Trois jours plus tard, c'est au tour d' de montrer son talent mais ici dans un rôle qu'on lui connait moins : celui d'accompagnateur. Dès les premières notes de la Sonate pour piano et violon n° 9 en la majeur « Kreutzer » op. 47 de Beethoven, le violon de Kavakos se fait lyrique, retenu, presque discret. C'est alors que l'accord initial du piano d' retentit comme un coup de canon, imprimant immédiatement un caractère martial et dense à l'image que veut en donner le pianiste. Ce signal donné, s'embarque avec son compère dans une interprétation décidée et rythmée où le piano attentif d'Evgeny Kissin fait merveille. La complicité des deux interprètes est admirable. Au début de l'andante, un court instant, on a l'impression que le piano prend la direction des affaires et la première variation semble le confirmer, mais, lorsque la deuxième variation voit s'envoler dans un déferlement de pizzicati fruit d'une incroyable technique d'archet, le à-toi-à-moi du pianiste et du violoniste se fait intense et solide. Jusqu'à l'accord final, la tension reste présente et l'embrassade des deux artistes dès la dernière note envolée confirme leur joie d'avoir porté haut cette musique.

En seconde partie, profite de l'accompagnement généreux d'Evgeny Kissin dans un programme de mélodies françaises et de lieder. Malheureusement, la soprano n'a plus les moyens vocaux du passé et apparaissent rapidement des difficultés d'interprétation dans les airs qu'elle a choisis. Les poèmes des mélodies de Duparc comme L'invitation au voyage ou Phidylé sont de petites histoires dont il faut saisir le sens avant d'espérer les interpréter. Mais ne semble en retenir que la mélodie. Du moins c'est ce que laisse entendre sa prononciation française quasi inintelligible. On espère une approche plus sensible dans les lieder de Brahms. Mais, comme dans ceux de qui suivent, chante souvent en force, écrasant le texte musical et ses nuances d'une voix aux attaques imprécises. C'est donc un peu tristement que se conclut cette soirée de musique de chambre pourtant si brillamment commencée.

Crédit photographique : Gregory Sokolov © Aline Paley, Evgeny Kissin, Leonidas Kavakos, Karita Mattila © Diane Deschenaux

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