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La belle santé du 72e Festival de Besançon

« Année avec » (entendre avec Concours international de jeunes chefs d'orchestre) d'un festival qui, seize jours durant, outre l'intronisation en grand d'un nouveau chef, inonde de musique l'automne de la vieille ville de Besançon.

le jeune vainqueur assoluto de l'édition 2017 est attendu comme l'enfant du pays. Déjà chef principal du Glyndebourne Tour, premier chef invité de l', il revient au Théâtre Ledoux auréolé de débuts à Salzbourg, de quelques récentes productions d'opéra, dont la Flûte de Castellucci à La Monnaie. Il a l'autorité des grands, le geste précis, énergique face à l' dans le Concerto pour Orchestre de Bartók, tandis que pour le Concerto n° 1 de Chopin le geste s'efface devant celui de Benjamin Grossvenor, tranquillement solide dans les mouvements extrêmes, tout de lyrisme paisible dans le Larghetto. C'est cependant le souffle puissant d'Affettuoso, qu' composa en mémoire de son ami , qui s'imprime en mémoire.

Tanguy justement, dont la résidence prend fin cette année, attire deux jours après au Kursaal un public curieux de découvrir The Desperate Man, pour octuor à cordes, dédié à l'actuel directeur du festival, Jean-Michel Mathé, « tout sauf un homme désespéré » tient à préciser le facétieux compositeur. L'œuvre donne une bande-son au Désespéré de Courbet, affiché derrière les exécutants. Tout en succombant à la beauté sombre, au lyrisme étreignant de la pièce, on  goûte l'excellence des deux quatuors réunis pour l'occasion : les six ans d'âge du jeune ne sont pas le moins du monde intimidés par le quart de siècle des Diotima. Exposés séparément (cohésion exemplaire autour d'une beauté classique du son façon Amadeus ou Parrenin d'un n°4 de Schubert pour les Arod, élégance précise du Ravel pour les Diotima), les deux formations sont d'abord réunis par les Deux Pièces de , onze minutes aussi marquantes, dans leur capacité à saisir le public, que les treize de Tanguy.

Déroulant la pelote d'un fil rouge russe, le festival invite, le lendemain, Nikolai Lugansky et l' fondé en 1990 par . Le pianiste ne fait pas mystère de sa prédilection pour Rachmaninov, dont les compositions pianistiques pour orchestre semblent toujours suspectes pour leur romantisme entre vieux et nouveau monde. L'impériale rondeur du son, les poignets d'acier trempé sont aux ordres d'une interprétation militante et convaincante. Le cours d'histoire proposé par la Symphonie n°9 de Chostakovitch vaut le détour : à Staline, qui attendait du nombre mythique de cette symphonie, composée au sortir de la guerre, une ode grandiose sinon à la joie, du moins à la gloire des troupes russes, le compositeur officiel répliqua par le pied-de-nez grinçant d'une œuvre deux fois plus courte que celle de Beethoven ! Un vrai cirque musical pour « célébrer » ce qui fut un vrai cirque humain. La gestique désarticulée et désabusée de Pletnev prolonge idéalement le geste courageux du compositeur.

Intitulé « Russie éternelle », le concert donné neuf jours après par le offre au mélomane l'occasion de replonger dans la beauté d'un répertoire qui a compté pour beaucoup dans son éducation musicale. L'occasion de vérifier que la mélodie et le souffle panoramique des steppes de l'Asie centrale font toujours leur effet. Mais aussi celle d'appréhender le violon subtil de , dont les aigus, d'une hallucinante pureté, donnent au Concerto n° 2 que composa juste avant son retour définitif en URSS une fascinante hauteur émotionnelle. L'Andante, posé sur des pizzicati ensorcelants, est un bijou, et les deux allegro rivalisant d'effets permettent à l'Orchestre de trouver sa cohésion (celle des violoncelles notamment, un peu éparse lors du célèbre Dans les steppes de l'Asie centrale de Borodine). Une cohésion que le chef porte à son acmé sur la Symphonie n°4 de Tchaïkovski, dont le spectaculaire assumé n'omet pas de nuancer la délicatesse périlleuse des pizzicati du Scherzo. L'acoustique cassante du Théâtre Ledoux, accablante pour le technicolor des cuivres, rappelle que circule une pétition pour une vraie salle de concert à Besançon. Le lieu, malgré les souvenirs glorieux de son Histoire, se voit effectivement dépassé par le désir d'acoustique contemporain.

En même temps que Simon-Pierre Bestion sème à nouveau la Tempête de ses extraordinaires Vêpres de Monteverdi dans la Cathédrale Saint-Jean (parution discographique imminente), sème la sienne à Vesoul où il est invité par le festival et le Théâtre Edwige Feuillère à lire sa dernière composition : Trois lettres de Sarajevo. Prévue pour son Orchestre des Mariages et des Enterrements (trompettes, tubas, flûte, goc, glockenspiel, saxophone), quatuor à cordes, deux voix féminines (en costume balkanique), un chœur orthodoxe de six hommes, la partition, « Ode à la Jérusalem des Balkans », est un manifeste pour l'entente entre les peuples. Marqué par son enfance à Sarajevo où « le temps était mesuré par les cloches de l'église catholique (…), de l'église orthodoxe (…), par l'invocation du muezzin », Bregović espère que ce qu'il considère comme son « invocation pour la paix » soit entendu. Un vœu auditif qui se trouve quelque peu mis à mal par un début de concert s'annonçant aussi épuisant que les films de Kusturica dont le musicien serbo-croate fut l'alter ego musical, du fait d'une sono poussée à fond : les violons, atomisés par les cuivres, ne deviennent perceptibles qu'au moment desdites lettres, trois parties instrumentales, plus transparentes et plus classiques d'écriture, qui constituent le cœur d'une œuvre modulable, encore en devenir, que Bregović agrémente de chansons, qu'il raccourcit, allonge, décline sans quatuor ni chœur d'hommes, ou avec un grand orchestre symphonique. Difficile, en l'état, d'en évaluer la véritable durée, d'autant qu'elle est immergée dans un pot-pourri de musiques composées pour le cinéma, notamment ce célébrissime Arizona Dream chuchoté avec le public dans une version débranchée. Réussissant enfin à faire rasseoir une salle qu'il avait tout fait pour verticaliser, clôt sur un ultime et très mélancolique morceau qui rappelle judicieusement, à base de prenantes déplorations posées sur des nappes de cuivres, le meilleur de son inspiration. Un des nombreux concerts à même de témoigner de l'esprit d'ouverture d'un des plus vieux festivals classiques français.

Crédits photographiques : © Yves Petit

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