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Le premier Faust de Gounod par Benjamin Bernheim et Véronique Gens

Depuis sept ans, le Palazetto Bru Zane nous fait redécouvrir les trésors oubliés de l'opéra français. Dernière parution : le Faust de Gounod dans sa version initiale comme Gounod lui-même ne l'a jamais entendu. 

« Version 1859 » nous annonce la couverture de ce livre-disque – pour différencier ce « premier Faust » de la version connue, présentée dix ans plus tard lors de l'entrée de l'ouvrage au répertoire de l'Opéra de Paris. Peut-on donc écouter l'opéra tel qu'il fut créé en cette année 1859 au Théâtre-Lyrique ? Pas vraiment. Recueillant le maximum de matériel inédit, rétablissant des numéros coupés avant même la création, reconstituant enfin certains passages perdus, les musicologues du Palazzetto Bru Zane nous présentent ici un Faust comme Gounod même ne l'a jamais entendu : une œuvre certes originale, mais quelque peu hybride, hésitant entre opéra-comique et drame lyrique, et manquant, à plus d'un moment, de cohésion dramatique.

Les différences sont en effet majeures. Ainsi, les récitatifs sont encore peu nombreux, Gounod recourant, à maints endroits, au mélodrame et au dialogue parlé. Wagner et Dame Marthe deviennent ainsi des rôles bien plus consistants que dans la version ultérieure. Côté musique, on découvre, entre autres, un trio Faust-Wagner-Siebel au premier acte, un duo entre Valentin et Marguerite au deuxième et un air inédit de Siebel au quatrième. Manque, en revanche, le fameux air de Valentin tout comme le chœur des soldats. Pas de « Veau d'or » non plus, Méphisto entonnant ici la « Chanson de Maître Scarabée ». S'y ajoutent plein de petites modifications, pour les voix comme dans l'orchestre, incitant à des comparaisons – avouons-le – pas toujours favorables à cette première version.

La distribution de cet enregistrement, effectué avant et pendant un concert à Paris en juin 2018, a été choisie avec soin. Ainsi, est un excellent Faust. Timbre jeune d'une grande beauté, élocution aussi claire que naturelle, il nous enchante grâce à un art consommé de la voix mixte qui n'est pas sans rappeler le grand Alain Vanzo. Tout au plus, on regrettera par moments que l'aigu forte manque un rien d'élan. campe un diable plus léger que d'habitude. Élégant, cynique plutôt que diabolique, ce Méphisto tout en finesse nous ramène vers l'opéra-comique. , en revanche, est un Valentin inhabituellement corsé, conférant au personnage une couleur plutôt sombre. On ne s'étonne finalement pas qu'il maudisse sa sœur avant de mourir. Celle-ci est ici interprétée par , qui, évidemment, n'a rien des sopranos lyrique-légers souvent distribués dans ce rôle. Certes, lors de représentations en province, Gounod avait demandé pour Marguerite une « forte chanteuse de grand opéra » plutôt que la première soprano d'opéra-comique. Si sa sensibilité musicale est, comme toujours, admirable et la diction exemplaire, fallait-il pour autant choisir une chanteuse au timbre mature pour le personnage de Gretchen, en difficulté, par ailleurs, dans le registre aigu ? La jeunesse associée à son personnage, manque aussi à dont le timbre nous paraît aigrelet dans les aigus.

Rien à redire en revanche quant à la prestation des Talents Lyriques sous la baguette de . Une fois habitué au son moins lisse des instruments d'époque, on admire la variété des couleurs et l'urgence dramatique de cette lecture passionnante d'un bout à l'autre.

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