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Strasbourg : Rusalka plus symbolique que poétique

Une mise en scène plus symbolique que poétique, avec d'incongrues irruptions de réalisme très contemporain. Une distribution incomplètement judicieuse. Une splendeur orchestrale très symphonique au détriment des voix. Pour sa première représentation en Alsace, Rusalka n'a pas totalement convaincu.

L'Alsace a attendu, semble-t-il, 118 ans pour connaître le chef-d'œuvre lyrique d' crée à Prague le 31 mars 1901. Pour cette tardive « création », la metteuse en scène a choisi une approche très symboliste dans des décors dépouillés et géométriques de Julia Müer. Le noir y domine pour les actes extrêmes situés dans le monde fantastique des nymphes et ondins, le palais du prince à l'acte II est d'un blanc éclatant. L'évocation de la nature et de l'eau, si prégnants dans l'œuvre, est laissée aux remarquables vidéos de Martin Andersson, qui autorisent de très esthétiques transparences avec l'aide des superbes éclairages de Bernd Purkrabek, révélant un profil ou une silhouette en contre-jour.

Cette scénographie très clinique manque cependant de la magie et de la poésie inhérentes au conte. D'autant que y introduit des histoires parallèles a contrario très réalistes. D'une part, le double enfant de Rusalka, alité et entouré de son père l'Ondin et de sa mère Ježibaba, qui trouve son réconfort dans un livre de contes qu'elle propose à chacun. Il est clair que le conte de Rusalka est entre autres une métaphore du passage de l'état de petite fille à celui de femme adulte par l'accession à la sexualité ; Robert Carsen l'a magnifiquement démontré dans sa mise en scène de l'Opéra de Paris. Mais ici, la réapparition de cette petite fille tout au long du spectacle peine à faire sens. Et doit-on y voir un rapport incestueux, comme semble le suggérer en faisant entrer Rusalka dans le lit de son père ? D'autre part, les vidéos racontent une troisième histoire : la rencontre sur une plage (la femme sort de la mer) d'un couple qui se termine en agression sexuelle (la vidéo est reprise au moins trois fois !) et par le suicide dans une baignoire de l'homme dévasté par ses pulsions et le remords. Cette fois, le contre-sens nous paraît total : si Rusalka désire accéder à l'humanité et à la sexualité qui l'accompagne, c'est de manière volontaire et consentie. En revanche, l'incompréhension, l'incapacité à communiquer des deux mondes, Nature et civilisation, passe totalement à la trappe. Et si les pulsions peuvent certes être dévastatrices, elles concernent bien plus l'état de nature donc Rusalka.

Révélée à Stuttgart par la regrettée Eva Kleinitz, en Rusalka semble à la limite de ses moyens vocaux. Si le médium est riche et les graves bien sonores, l'aigu est constamment en force, souvent pris par en dessous et le timbre s'y appauvrit. Avec une moindre projection vocale que ses partenaires, elle surpasse difficilement les déferlements orchestraux. Était-il par ailleurs judicieux de l'affubler au premier acte d'une queue de poisson aussi encombrante qu'inutile ? Doté d'un format de Heldentenor wagnérien, le Prince de en a les atouts (des aigus solides et puissants, de l'héroïsme) mais aussi les limites (un timbre peu lyrique et de moindres capacités à la demi-teinte). Il soigne néanmoins les nuances et, à l'heure de sa mort ou plutôt ici de son suicide, termine avec des aigus en falsetto.

en Vodnik impressionne par la vigueur et la projection de son immense voix, même si un vibrato entache la tenue et la justesse de l'extrême aigu très ouvert. Avec ses graves toujours plantureux et un aigu désormais plus tendu, ne fait qu'une bouchée du rôle de Ježibaba, dont elle assure toute la noirceur et le caractère menaçant sans surcharge scénique. Masculinisée avec un pantalon et une coupe à la garçonne, avec des aigus trop vociférés, la Princesse étrangère de manque de séduction dans un rôle qui devrait faire pendant et jeu au moins égal avec Rusalka. Le trio des Esprits de la forêt, toutes issues de l'Opéra Studio de l'ONR, est impeccablement apparié avec des voix bien contrastées. Remarquables également, la fraîcheur vocale et le timbre attrayant de séduisent dans le double rôle du Garde-chasse et du Chasseur tandis que Claire Péron retient moins l'attention en Marmiton réduit à débiter la pêche quasi miraculeuse de son compagnon.

Le chef et l', aux sonorités somptueuses (en dépit toujours d'une certaine fragilité des vents) donnent avec vigueur un romantisme échevelé à la partition. Trop parfois car ce symphonisme exacerbé se fait au détriment des chanteurs assez souvent couverts, d'autant que la large ouverture du décor ne facilite pas leur projection. Bien que peu sollicité, le Chœur de l'Opéra national du Rhin assure avec conviction sa partie. Une soirée en demi-teinte donc, avec des réussites mais aussi des réserves, ce qui n'a pas empêché le public d'accueillir avec chaleur tous les artisans du spectacle au rideau final.

Crédits photographiques :  (Rusalka),  (le Prince) / (Vodnik),  (Rusalka), (Ježibaba, à l'arrière-plan) © Klara Beck

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