- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Les visages multiples de Haydn à Metz

L'Arsenal de Metz, désormais intégré dans une nouvelle structure, la Cité musicale, choisit de consacrer une fin de semaine à la musique de Haydn. et son Concert de la Loge sont à la manœuvre, pour un effet qui ne laisse pas indifférent.

Où l'on apprend que les instruments anciens sont précieux mais ne dispensent pas d'imagination musicale.

On n'entend jamais assez de Haydn, mais c'est encore pire pour ses œuvres pour claviers divers : elles ont eu d'éminents défenseurs, Gould, Richter, Brendel, aujourd'hui Sokolov, sans parler de Planès lui-même, mais cela n'a pas suffi à ce que ces œuvres reçoivent l'estime qu'elles méritent. a enregistré au piano plusieurs disques consacrés à Haydn ; en concert, c'est volontiers comme ici au pianoforte qu'il les interprète (on aimerait connaître le pedigree de l'instrument joué ici). La première sonate de la soirée (Hob. XVI:19, en ré majeur) laisse perplexe : le discours est heurté, souvent confus, parfois interrompu par des pauses mal venues.

Heureusement, à l'exception de quelques approximations dans le premier mouvement de la célèbre Hob. XVI:52, la dernière de Haydn, la suite du programme permet de retrouver tel qu'en lui-même : il n'a pas besoin de la machinerie symphonique du piano moderne pour ouvrir de vastes paysages sonores, s'entend à merveille avec les demi-teintes émotionnelles de cette musique de l'intime, et tire le meilleur parti des ressources de virtuosité que lui demande l'écriture de Haydn. Les variations du Piccolo divertimento ainsi interprétées apparaissent ainsi pour ce qu'elles sont, un trésor de poésie sonore, mais plus encore : la confirmation que l'art de Haydn dans son écriture pianistique est une voix unique et singulière, et bien plus que la continuation des œuvres aimables d'un CPE Bach ou un sous-produit de l'inventivité mozartienne.

Symphonies version noir et blanc

Le lendemain, la question des instruments est au cœur du concert proposé par , qui interprète deux symphonies de Haydn, la 86e avec son Concert de la Loge, la 45ᵉ avec l', pour une soirée beaucoup moins satisfaisante. La première raison en est la « présentation » d', façon bonimenteur télévisuel du dimanche après-midi, petites blagues comprises ; la comparaison des instruments entre les deux formations est d'une utilité pédagogique incontestable, et c'est une manière comme une autre d'occuper le temps pendant le changement de plateau entre les deux orchestres, mais sa première intervention, pour un bon quart d'heure, vient interrompre le concert dès la fin du premier mouvement de la Symphonie n° 86. tient toujours à rompre le rituel contemporain du concert en rappelant qu'il n'a rien d'éternel, mais une rupture aussi radicale de la continuité n'est pas plus dans les habitudes du public d'aujourd'hui que dans celles des contemporains de Haydn.

Le principal problème, du point de vue musical, tient cependant à l'interprétation elle-même. Peu importe l'orchestre, au fond, peu importe la position différente du chef dans l'orchestre, d'abord dirigeant du premier violon, puis du pupitre habituel du chef : l'énergie que déploie Chauvin, les choix de tempi souvent rapides sont une chose, le manque de nuances et d'imagination en sont une autre. Tout un travail de détail sur le phrasé, sur les nuances dynamiques et rythmiques au sein même d'une phrase manque presque complètement ici, et il en résulte une placidité expressive qui confine vite à l'ennui. L'humour que tente la présentation est absent de la musique. Même l'écriture pour les vents, pourtant soulignée dans la présentation, ne vient pas rompre la monotonie : leurs interventions se fondent trop souvent dans la masse au lieu de venir relancer ou contraster le discours.

comporte ce soir environ 25 musiciens, l' beaucoup plus, et Chauvin lui-même évoque un effectif de soixante musiciens pour qui a commandé les Symphonies parisiennes (dont cette n° 86) à Haydn : où est alors l'authenticité ? Un effectif aussi réduit sonne maigre dans la grande salle de l'Arsenal ; on en comprend bien les fondements économiques, mais la démarche de Chauvin en devient encore moins convaincante. (DA)

Haydn intime

Pour le concert de fin d'après-midi, c'est un programme entièrement consacré à « Haydn intime » qui est proposé au public. Les pièces retenues, qui couvrent l'essentiel de la carrière du compositeur, n'en permettent pas moins de faire découvrir plusieurs facettes de la production du grand musicien viennois. Si les Lieder allemands, par leur forme strophique et leur accompagnement souvent rudimentaire, ne comptent sans doute pas parmi les compositions les plus marquantes de Haydn (et l'on fera une exception pour le très beau Trost unglücklicher Liebe), les mélodies anglaises font preuve de davantage d'originalité et d'inventivité musicales. La partie pianistique, notamment, est traitée de manière véritablement instrumentale, et le pianiste sait lui rendre pleinement justice. Ce dernier nous régale en plus d'une sonate pour pianoforte, ainsi que des Variations sur un thème de la Symphonie « La Surprise ». Si les pièces auxquelles se joignent le violon et le violoncelle de musiciens du Concert de la Loge attestent la veine folklorique du grand Haydn ainsi que de ses talents d'arrangeur, la cantate Arianna a Naxos démontre la capacité du compositeur à satisfaire les exigences d'un public londonien toujours aussi féru, au début des années 1790, des attraits de l'opéra italien, dont cette pièce apparaît comme une sorte de miniature.

Chantal Santon Jeffery se montre à son affaire dans toutes les parties du programme, même si son allemand paraît quelque moins bien articulé que son anglais ou son italien. De plus, la tessiture relativement basse des mélodies allemandes convient moins bien à son instrument, légèrement sourd dans le grave et le bas médium. Fort heureusement, la voix se déploie plus librement dans le registre plus élevé des pièces qui font suite. Non dénuée d'humour, la soprano sait trouver dans les pièces écossaises le ton coquin qui leur convient, et la cantate italienne lui permet de trouver les accents déchirants qui conviennent à la triste situation de la malheureuse Ariane. Beau concert, donc, qui met en lumière une facette de Haydn moins bien connue du grand public.

Musique sacrée aux Tuileries

Le concert de clôture de la programmation « Osez Haydn » était censé restituer l'ambiance d'une soirée musicale telle qu'on pouvait l'imaginer dans les dernières années de l'Ancien Régime. Dans le cadre des programmes du Concert Spirituel, le Stabat mater avait en effet été donné en deux parties, les mercredi et jeudi saints. Plus tard, il n'était pas rare que l'on intercalât au sein d'un ouvrage sacré des pièces empruntées à d'autres compositeurs. Mais cela est-il une raison suffisante pour qu'on propose, à notre époque, une version saucissonnée d'un grand classique du répertoire ? À quand La Belle meunière entrelardée de Lieder de Beethoven, Schumann ou autres ? À quand la Neuvième de Beethoven coupée en petits morceaux ? Mais, soyons honnête, l'introduction d'extraits de la Symphonie funèbre ou du Requiem de , ou celle du Miserere de Hasse, n'est pas vraiment gênante, car ces morceaux participent tous du même esprit et relèvent d'une esthétique voisine. En revanche, l'extrait du Chant sur la mort de de Cherubini paraît pour le moins incongru – certains pourraient même trouver cela blasphématoire ! – quand il est intercalé entre deux extraits du Stabat. Rien, en effet, ne permet de rapprocher le classicisme de Haydn de celui, déjà préromantique, de Cherubini. Pourquoi, dans ce cas, proposer la confrontation des deux œuvres sur le mode de l'intercalation ?

Mais oublions les choix malheureux de la programmation, pour savourer les délices de l'interprétation. Car , avec le travail effectué par Julien Chauvin sur les couleurs et sur les articulations, semble être la phalange idéale pour restituer toute la complexité de cette période de transition entre classicisme et romantisme. L', placé sous la direction de son chef , sait lui aussi trouver les accents pathétiques qui conviennent au sujet. Tous excellents pris individuellement, les solistes semblent en revanche appartenir à des univers stylistiques différents. La soprano Florie Valiquette, avec son instrument virtuose un peu pincé, semble résolument appartenir à l'esthétique de l'opéra du XIXᵉ siècle. , en revanche, montre pour sa part, avec sa voix de ténor aigu à la française, ses affinités avec le registre de haute-contre des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. La basse quelque peu tonitruante d' serait sans doute plus à son affaire dans les grands oratorios anglais de Haendel que dans le registre méditatif du Stabat mater. L'alto de la merveilleuse (qui a sauvé dernièrement le Messie à Radio France) semble quant à lui être hors de temps, tant la simplicité et la sobriété du chant de cette grande artiste auront fait du « Fac me vere tecum flere » un vrai moment de grâce. Les mânes de Kathleen Ferrier sont invoqués, le public enthousiaste fait un triomphe. Une soirée qui a marqué le point d'orgue d'une programmation thématique à la fois originale, audacieuse, délibérément polémique et véritablement stimulante à plus d'un titre. (PD)

 

Crédit photographique : : © Éric Larrayadieu. Chantal Santon-Jeffery : © C. H. Jeffery. Le Concert de la Loge : © Franck Juéry

(Visited 760 times, 1 visits today)