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Don Giovanni à Saint-Étienne, la noirceur de la jeunesse

La nouvelle production de l'Opéra de Saint-Étienne affirme la noirceur du Don Giovanni de Mozart en éludant l'aspect bouffe de l'opéra.

Au levée de rideau, les « bas-fonds » de se matérialisent par quelques arcades sombres, ornées de multiples grillages où les herbes folles côtoient la saleté typique d'une zone urbaine. Au pied de l'escalier où le Commandeur reviendra des morts, – la mise en scène aurait gagné à faire preuve de plus d'inventivité qu'un simple mannequin vêtu d'une cape dorée -, la vulgarité d'une société de consommation flamboie par le biais de panneaux publicitaires mêlant malbouffe, annonce du prochain récital de Donna Elvira, lingeries sexy et affiche politique à l'effigie du Commandeur.

Propice à la révélation de nombreux maux de la société, agression sexuelle et voyous donnant vie à cet espace particulièrement glauque, c'est un jeune visage rachitique qui fait son apparition. En perfecto noir, Don Giovanni est associé par le metteur en scène dans sa note d'intention, au « club des 27 » des rockeurs morts dans leur 27ᵉ année (Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain ou Amy Winehouse), telle une malédiction des temps modernes. Parce que dans cette lecture, Don Giovanni est une victime. Victime d'une addiction pathologique portée par une recherche constante de la mère afin de pallier une carence affective durant l'enfance… Étonnante lecture. En manque de repères, il crée ses propres règles, au détriment de tous, et même de son fidèle acolyte.

Malgré sa jeunesse, le duo semble parfaitement rodé, s'adaptant au mieux à la vision singulière de la mise en scène, comme à celle de la direction musicale. Le baryton de pourrait manquer de profondeur si l'aspect juvénile du personnage n'était pas revendiqué. Sa finesse dans les nuances, la sonorité de son chant, la qualité de sa diction dans les recitativo secco, la gouaille de son jeu scénique en font un Don Giovanni atypique, certes, mais bien conforme au projet collectif mené dans cette production stéphanoise. Les qualités du baryton polonais prennent toute leur envergure au côté de Leporello, , dont c'est la prise de rôle, minimisant l'aspect bouffe de son personnage, pour en révéler une humanité sensible et naturelle. Le jeu théâtral est sûr, sans pitrerie donc mais avec une véritable désinvolture propre à la jeunesse de notre temps ; moderne en somme. La puissance de sa superbe voix profonde ne faiblit à aucun instant, dévoilant son caractère sur l'ensemble de l'ambitus.


L'incarnation du Commandeur (Ziyan Atfeh) pâtit d'une aura faiblement ténébreuse, alors que (Don Ottavio) affirme son chant par une luminosité agréable, empreint de la noblesse nécessaire au personnage. La fraîcheur de (Zerlina) déploie un chant mozartien séducteur, que (Donna Elvira) complète avec talent, ses élans de colère jaillissant parfaitement dans nombre de ses vocalises et par le biais d'une ligne de chant idéalement maîtrisée. La Donna Anna de et le Masetto de sont un peu moins marquants, manquants l'une d'ampleur vocale et dramatique, l'autre de caractère.

Dans cette production, la principale déception est dans la fosse, les chanteurs arrivant tout de même à déployer leur talent malgré la lecture particulièrement fade de , nommé récemment comme chef principal de l'. Des tempi étonnamment lents, rendant même l'air du catalogue de Leporello anecdotique, des attaques et des couleurs molles, donnant une impression générale terne à la musique de Mozart, bien dépourvus de phrasés entraînants et d'émotions flagrantes.

Crédits photographiques : © Cyrille Cauvet

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