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Les Vêpres de Monteverdi par La Tempête : l’éblouissement

Du chef-d'œuvre de Monteverdi, donne une version qui ne ressemble à aucune de ses illustres devancières.

Aborder ce Vespro enregistré après avoir eu la chance de l'avoir vécu en concert n'est pas le moindre des suspenses. Privé de la geste d'un chef éminemment magnétique, le miracle qui a eu lieu en 2018 à La Côte-Saint-André en 2018, comme à Besançon (et certainement partout ailleurs) ne serait-il pas soluble dans sa seule transcription digitale ? Affirmons-le en préambule : la prise de son est excellente face à l'instrumentarium foisonnant d'une interprétation puissamment habitée. Même privé de son public, La Tempête souffle. Et l'audacieux pari de son chef n'en est plus un.

Sort-on jamais de son enfance ? Celle de (l'émerveillement campanaire des jours d'été dans la lumière vespérale des abbayes) nous vaut la spiritualité insensée de ce Vespro projeté dans le souffle cinémascopique d'un cosmopolitisme bien éloigné du confinement des chapelles. D'un travail d'immersion ethno-musicologique qu'on imagine colossal a émergé ce Vespro universaliste, qui convoque, autour de la stricte écriture monteverdienne, antiennes et faux-bourdons chers à Marcel Pérès. Le fondateur de La Tempête a souhaité faire revenir à Venise ces Vêpres de 1610 (bien qu'il n'existe aucune trace de création de cette partition à la « Cité des Eaux » à cette époque) forcément « tournées vers la Méditerranée et l'Orient… », où « se côtoyaient, voire s'influençaient » les traditions populaires. « J'ai simplement essayé d'imaginer toute cette richesse et ces échanges », dit-il encore.

A l'instar de ses prédécesseurs, s'est emparé de la liberté inusuelle laissée par Monteverdi qui, hors l'introduction et le Magnificat conclusif, n'avait pas fixé l'instrumentation d'une œuvre qu'il n'a jamais donnée in extenso. Bestion a réécrit, allongé : l'addictif (et ici quasi-pop) Laetatus sum, doté d'une intro que ne renierait pas Christina Pluhar, l'Ave Maris Stella refondu (la pédale des basses, la frontière du silence à bouches fermées) font leur plein effet. L'instrumentarium fascine : si l'on a déjà croisé la route du serpent, du ceterone, de la dulciane ou de la harpe triple, on fait connaissance avec le cervelas, tous invités de luxe d'un ensemble de vingt-trois instrumentistes engagés.

Autour des antiennes énoncées par le poignant mezzo androgyne d', trente-trois chanteurs (, , , ….), rompus à la dentelle monteverdienne comme à la ferveur bestionienne, colorent l'intemporel chef-d'œuvre de polyphonies rauques (annoncées en fanfare dès le choc de l'intro), d'éclats solaires et de zones d'ombre. L'apothéose du Magnificat (magnifique effet d'écho démultiplié dans le Gloria) voit ses différents segments lacérés par de profonds silences. Un voyage nourricier, d'une longueur inédite (2h22), dont chaque étape happe l'auditeur.

Simon-Pierre Bestion, soucieux de « désassagir » ainsi la musique d'église en lui rendant ses couleurs d'antan, ne prétend pas faire œuvre indiscutable (et certains discuteront, assurément) mais vise « la cohérence du grand rituel ». Les concerts l'ont montré, ce disque le démontre : ces Vêpres sont le Grand Rituel de notre Temps.

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