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Actualité de la musique de chambre de Weinberg au disque

Le centenaire de la naissance de  se conclut par une belle actualité discographique de sa musique de chambre, avec quatre albums venus aussi bien des anciennes républiques soviétiques que de Belgique et de France. 

Il est des signes qui ne trompent pas. Que la Deutsche Grammophon publie ses deux premiers disques Weinberg dit assez que le compositeur fait désormais partie des nouveaux « classiques ». Après un disque symphonique majeur (Clef ResMusica) avec et la cheffe d'orchestre Mirga Gražinytė-Tyla, le violoniste revient en formation de trio. Celui qui avouait être passé à côté de Weinberg sans le voir dans les années 70 lorsqu'il défendait les compositeurs plus « contemporains », ne ménage plus sa peine pour le jouer. Il en résulte un beau disque, réalisé avec le soutien du ministère de la culture polonais, ce qui là encore n'est pas anodin pour un compositeur qui fit toute sa carrière en URSS. Le programme s'étend d'une œuvre de prime jeunesse, de 1934-1935, qui surprend par la maturité d'un jeune homme qui n'avait pas encore terminé sa formation au Conservatoire de Varsovie, jusqu'à la rude Sonate n° 6 pour violon et piano de 1982, dédiée à sa mère assassinée dans un camp de concentration. Cette sonate sans numéro d'opus, découverte dans ses archives en 2017, aurait été oubliée par Weinberg. Même en prenant en compte qu'il était un créateur obsessionnel qui passait sa vie à composer, on a du mal à concevoir qu'il ait pu oublier une œuvre dédiée à sa mère assassinée. La pièce de résistance est le Trio op. 24 de 1945, qui a fait récemment l'objet d'un enregistrement remarquable par le Trio Wajnberg (Clef ResMusica, CD Accord). L'interprétation de , au piano et au violoncelle est luxueuse et affirmative, et tire ces différentes œuvres vers une forme de classicisme. Le Trio en ressort plus rayonnant, la Sonate moins rêche. Par son interprétation, son label, son parrainage officiel, Kremer signe un disque important dans l'histoire de la (ré)appréciation de Weinberg comme compositeur majeur.

On retrouve ce Trio op. 24 au sein d'un autre programme très bien conçu, proposé par le jeune . L'album se focalise sur la période faste sur le plan compositionnel de l'année 1945, une période d'intense vitalité créatrice, ce que ne suggère guère le visuel de la pochette, qui est plutôt évocateur des wagons de déportation. Par ce premier disque, les musiciens du trio belge (formés à Bruxelles et en Angleterre) affirment leur attachement à ce compositeur et en particulier à ce magnifique Trio. Leur interprétation se rapprocherait des Wajnberg plutôt que de , avec une dimension sinon plus introvertie ou sensible, du moins plus directe, moins lustrée. Ce n'est pas une mince réussite que de soutenir la comparaison dans ce répertoire avec leurs prestigieux confrère et consœurs sous étiquette jaune. La Sonate n° 1 pour violoncelle et piano op. 21 appartient à la même période que le Trio tout comme les deux Chansons sans paroles pour violon et piano, sans numéro d'opus car redécouverts dans les archives du compositeur et proposés en première mondiale. La deuxième chanson, Larghetto, douce et mélancolique, est une transcription de l'Aria op. 9 pour quatuor à cordes composée à Tashkent en 1942. La Rhapsodie sur des thèmes moldaves de 1949 est un hommage aux origines familiales de Weinberg. Dans cette pièce qui compte parmi les plus accessibles du compositeur, il reprend ouvertement des thèmes juifs avec ses mélodies entraînantes typiques. Weinberg la créa lui-même le 6 février 1953 avec David Oïstrakh, en pleine affaire antisémite du « complot des blouses blanches ». Le lendemain, il sera arrêté par le KGB (appelé à l'époque MGB).

Weinberg est libéré onze semaines plus tard, miraculeusement sauvé par la mort inopinée de Staline. Sa première composition d'homme libre est la Sonate n° 5 pour violon et piano op. 53. La plus importante de la série et une des œuvres clés de tout le corpus du compositeur, elle est dédiée à Dimitri Chostakovitch qui avait eu le courage d'écrire au chef du KGB pour solliciter sa libération. Lyrique, elle est au centre du second volume de l'intégrale des Sonates pour violon et piano de l'Ensemble Des Équilibres, avec et  qui succède à Laurent Wagschal. Il est a priori étonnant de voir un soliste de l'Ensemble Intercontemporain (depuis 1992 !) s'aventurer dans un répertoire aussi éloigné des affinités esthétiques de son fondateur Pierre Boulez, mais il faut croire que, à l'instar d'un Gidon Kremer, la distance du temps permet de mieux apprécier l'apport d'un Weinberg. La comparaison des musiciens français avec Gidon Kremer est comparable dans la Sonate n° 5 (avec Martha Argerich, Live from Lugano 2014, Warner Classics) et la Sonate n° 6 (avec , ci-dessus), à savoir que Gidon Kremer et ses partenaires s'attachent à rattacher Weinberg à une grande tradition chambriste, qui sonne admirablement, alors qu' et en recherchent la sève moderniste, plus âpre. Cette approche moins confortable n'en est pas moins authentique artistiquement.

Pour leur premier enregistrement, le établi à Minsk en 2015 par (sans lien avec le West-Eastern Divan Orchestra de Daniel Barenboim) choisit les Symphonies de chambre n° 1 et n° 3. Respectivement de 1987 et 1990, elles font partie des dernières pièces du compositeur, et partagent avec les deux dernières Symphonies de chambre n° 2 et n° 4 un retour aux œuvres précédentesLa Symphonie n° 1 est en grande partie reprise du Quatuor n° 2, composé à Minsk en 1940, tandis que la Symphonie n° 3 s'inspire de plusieurs mouvements du Quatuor n° 5 de 1945 et inclut un nouveau final. Si Chostakovitch dans sa dernière Symphonie n° 15 recourt aussi aux citations (Tristan, l'ouverture de Guillaume Tell…) et auto-citations, le procédé chez Weinberg se rattache moins à une réflexion universelle sur la mort et le passé, et davantage à faire revivre les fantômes de son propre passé, ses chers disparus. Ce disque de Weinberg est le premier jamais enregistré à Minsk, là où il acheva ses études. Sur le plan interprétatif, la comparaison qui s'impose est – encore – avec Gidon Kremer et sa Kremerata Baltica (ECM), mais le résultat est inverse aux enregistrements évoqués précédemment. Cette fois, c'est l' qui adopte une lecture plus raffinée là où la Kremeratica Baltica opte pour une interprétation davantage immédiate et moins policée. Kremer capte plus l'attention en première lecture, mais la finesse poétique de l'ensemble biélorusse (composé de musiciens russes, biélorusses, polonais, allemands et des pays baltes pour l'essentiel) est convaincante et pourra être préférée pour des écoutes renouvelées.

Mieczysław Weinberg, portrait pour un premier centenaire

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