- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Tentative d’un Parsifal multiculturel à Strasbourg

En confiant Parsifal au metteur en scène japonais , Eva Kleinitz, trop tôt disparue l'an dernier, avait probablement l'idée de soumettre cette œuvre, où la symbolique chrétienne est si prégnante, au regard d'une autre vision en l'occurrence bouddhiste.

Le résultat qu'en présente actuellement l'Opéra national du Rhin n'est cependant pas à la hauteur des espérances qu'on pouvait mettre dans ce concept à priori fécond. Sans contester ni la profondeur de la réflexion d' ni la finition de son travail, force est de constater qu'il s'est laissé piéger par un excès de références, de pistes suivies sans en mener aucune à son terme, nous donnant au final un spectacle inabouti, sans claire cohérence ni dramaturgique ni scénographique, souvent incompréhensible pour qui n'aurait pas lu au préalable ses intentions dans le programme de salle.

Le principe de base (métempsychose éminemment bouddhiste) est d'introduire dès le prélude orchestral la réincarnation des principaux personnages de l'opéra : un adolescent est celle de Parsifal, sa mère avec laquelle il est en conflit celle de Kundry et son père suicidé est un avatar ultérieur d'Amfortas. Au cours de la visite d'une exposition consacrée à l'histoire de l'humanité (volonté d'universaliser le propos), dont le commissaire très lié à la mère prend les traits de Klingsor, l'adolescent entre en contact avec le monde passé de Montsalvat et se reconnaît en Parsifal qu'il va dès lors suivre en permanence. Le développement de ce concept occupe tout le premier acte avec quelques incohérences et une incontestable virtuosité dans l'utilisation du décor tournant de Boris Kudlicka. Pour finir, la cérémonie du Graal prend place dans l'atelier en sous-sol du musée, où des restaurateurs à l'allure de chirurgiens prélèvent le sang d'Amfortas qu'ils offrent à boire à des soldats éclopés sortis des différents conflits de l'Histoire.

Comme dans la majorité des productions vues de Parsifal, le second acte est beaucoup plus faible. Klingsor n'est que le responsable de la surveillance vidéo du musée puis cette thématique est abandonnée pour un tableau des filles-fleurs d'un kitsch absolu dans des tons rose bonbon. Complexifiant encore son propos, affirme ne pas vouloir « s'enfermer dans un cadre chrétien » et suivre  l'intention de Wagner que « Parsifal soit un drame religieux universel ». Pourtant il traduit scéniquement l'espace sacré de Montsalvat par des costumes évoquant la représentation traditionnelle des Apôtres, une profusion de tableaux de la Crucifixion ou de la Descente de Croix tous issus de l'histoire de l'art occidental ou l'exposition du Saint-Suaire de Turin avant les offices du Graal. S'y rajoute un appel au respect de Mère Nature sous la forme d'un tableau de forêt dans le musée et d'une jungle paradisiaque vers laquelle retournera Parsifal à la fin de l'opéra tandis que sa réincarnation adolescente choisira de rester dans le monde réel pour tenter de le sauver. Sans oublier un énigmatique singe, origine de l'Homme et « symbole de l'innocence, envoyé par Dieu » (sic) qui réapparaît aux moments-clés de prise de conscience. Si l'on y adjoint quelques images inutiles voire grotesques comme le cadavre en putréfaction de Klingsor au troisième acte ou la rédemption de Kundry en ange ailé volant dans les cintres, on saisira aisément le caractère hétéroclite et souvent abscons de cette mise en scène.

La distribution alterne le chaud et le froid, l'excellent et le plus contestable. est un magnifique Gurnemanz, sonore et clair, au timbre riche sur toute la tessiture et impose avec autorité sa haute et noble stature scénique. Sans avoir les moyens vocaux du Heldentenor wagnérien classique (que n'appelle pas d'ailleurs vraiment le rôle de Parsifal), utilise avec intelligence les siens pour camper un Parsifal adolescent très crédible et lumineux, à l'émission haute, tout en assurant sans faillir le climax de « Amfortas, die Wunde ! » ou le registre plus étendu de « Nur eine Waffe taugt ». Quoique d'une parfaite probité, en Amfortas et en Klingsor marquent moins, le premier trop retenu pour exprimer toute la douleur du rôle, le second manquant de noirceur et peu inquiétant. La Kundry de peine à domestiquer son vibrato et à unir un registre grave sonore et plantureux avec des aigus plus tendus, acides et souvent trop bas. Impeccable et puissant Titurel de et, comme le plus souvent à Strasbourg, distribution soignée et bien diversifiée des rôles secondaires avec bon nombre d'excellents artistes en devenir issus de l'Opéra Studio. Renforcé par des membres du Chœur de l'Opéra de Dijon, le Chœur de l'Opéra national du Rhin assure vaillance et musicalité à ses interventions. On regrette cependant qu'une sonorisation peu flatteuse altère l'impact du chœur féminin depuis la coulisse.

En fosse officie le Philharmonique de Strasbourg limité à environ soixante-dix instrumentistes par l'exiguïté de la fosse, alors que Wagner en prévoit une centaine. Si l'on y gagne (peu) en clarté des plans sonores, on y perd (beaucoup) en puissance. Le déferlement sonore initial du II paraît étriqué et si les deux scènes du Graal sont bien les sommets attendus, c'est surtout grâce à la qualité du chœur. Le chef assume dans le programme de salle ce dimensionnement « chambriste ». Prenant son temps aux actes extrêmes (1h40 pour le premier), il accélère le tempo au II, donnant un peu de dynamisme à une direction par ailleurs propre mais sans aspérités.

Crédits photographiques : Parsifal () et sa réincarnation (Mathis Spolverato) / Kundry (), Gurnemanz (), Parsifal ()  © Klara Beck

(Visited 1 826 times, 1 visits today)