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Der Schmied von Gent de Schreker à Gand

Dernier opéra de Schreker, Der Schmied von Gent arrive dans la ville des Flandres dans laquelle se situe son action.

Chaque saison apporte maintenant son lot de nouvelles productions d'opéras de Schreker. Après les multiples Gezeichneten de ces dernières années, Der Ferne Klang à Francfort ou Stockholm l'an dernier, sont proposés en 2020 les encore plus rare Irrelohe, bientôt à Lyon, et Der Schmied von Gent au Vlaanderen Opera, à Gand, quelques semaines après Anvers.

Dernier opéra d'un subissant déjà les exactions nazies, Le forgeron de Gand se veut pour le compositeur un Zauberoper, opéra magique en forme de somme de ses travaux précédents. Créée à Berlin en 1932, l'œuvre sera rapidement retirée de l'affiche. Le livret de Schreker lui-même, tiré d'un roman de Charles De Coster, narre, à la manière d'une fable, l'histoire de l'un des principaux résistants de la révolte des Gueux, en Flandres, après le saccage de la ville d'Anvers en 1576 par les troupes espagnoles. Jalousement dénoncé par son rival Slimbroek, Smee fait alors un pacte avec Astarte et vend son âme au Diable, pour devenir un odieux capitaliste, profiteur de son pouvoir en Enfer. Après sept années, il rencontre la Sainte Famille, qui lui offre trois veux, par lesquels il demande trois armes : que l'on ne puisse plus descendre de son arbre, plus se lever de sa chaise et plus sortir de son sac. Par ses armes, il se débarrasse avec ruse des forces du mal, représentées ici par le tortionnaire espagnol Duc d'Alba, le magistrat à sa solde Jakob Hessels, et Astarte. Grâce à ses actions rédemptrices, Smee achève son voyage devant saint Pierre, au Paradis.

De ce livret bancal, Ersan Mondtag cherche un parallèle en inversant les rôles, l'occupation espagnole de la Flandres devenant celle de la Belgique au Congo, où l'occupé devient alors occupant. Un long discours de la libération du pays par Mobutu est intégré à la production au dernier acte, tandis que le décor de Manuela Illera affiche de nombreux tableaux récents d'artistes congolais, et que les costumes de Josa Marx montrent de nombreux boubous et robes africaines. Les deux hommes du mal, représentés en diables rouges, sont interprétés pour Jacob Hessels par le baryton-basse , vocalement bien présent par ses graves, et par le dynamique baryton pour le Duc d'Alba. Dans un beau décor placé sur tournette centrale, s'assemblent d'un côté des maisons flamandes épurées, de l'autre un château intégré au corps d'un monstre à cornes.

Le baryton tient le premier rôle, juste avant de prendre Alberich dans la reprise du Ring à Vienne. Son chant dynamique et modulé s'accorde à une superbe énergie en scène, par laquelle l'artiste caractérise parfaitement la naïveté du forgeron Smee. Sa femme apporte un beau mezzo, par lequel elle tente de rassurer son mari, quand Astarte le dévoie par le superbe timbre coloré de la soprano . Le traître Slimbroeck revient au ténor , qui portait Malcolm sur cette même scène dans le récent Macbeth, bien traité dans son aigreur par un timbre nasal parfaitement adapté au rôle. À ces protagonistes s'ajoutent trois saints, Joseph d'Ivan Thirion, Marie de Chia-Fen Wu et aux portes du Paradis, un saint Pierre noir avec son Christ noir dans les mains pour s'accorder à la proposition scénique, en la personne de Justin Hopkins.

Les Kinderkoor & Koor Opera Ballet Vlaanderen font preuve d'une parfaite préparation dès l'acte I et leurs scènes de ferveur autour de Smee, dans une partie qui annonce déjà par ses ostinatos rythmiques ceux de Carl Orff quelques années après. La partition de fosse elle aussi ressemble parfois à s'y méprendre à celle des futurs ouvrages lyriques d'Orff, en plus de se présenter comme une somme des précédents écrits par Schreker, avec toujours les émanations oniriques qui sont la pâte même du compositeur. Les couleurs diverses, issues des saxophones, clarinette basse, piano, célesta, glockenspiel et harpe, s'agencent pour offrir un matériau fait d'alternance d'atmosphères, tantôt infernales et tantôt divines, traitées avec une excellente précision et une impeccable application par le chef . Coproduite avec l'Opéra de Mannheim, cette proposition donnée chaque soir en Flandres dans des salles bien remplies ouvre de prometteuses perspectives pour les ouvrages de lors des saisons à venir.

Crédits photographiques : © Annemie Augustijns

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