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Leonore par René Jacobs et le Freiburger Barockorchester

À l'occasion de l'année Beethoven, et le effectuent un spectaculaire retour aux sources beethovéniennes avec cette Leonore II qui ne manque pas d'arguments pour séduire.

Fervent artisan de la renaissance baroque, comme des enregistrements historiquement informés, n'est pas le seul (comme Blomstedt avec la Staatskapelle de Dresde ou Gardiner avec l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique) à accorder ses préférences à cette version initiale de Fidelio que Beethoven composa en 1805. Mal reçue par le public et sur les conseils peu avisés de certains de ses amis, il révisa la partition, en effectuant de nombreuses coupures, pour en proposer l'année suivante, en 1806, une nouvelle mouture, Leonore III qu'il révisa de nouveau pour aboutir à la version définitive de Fidelio en 1814 que l'on connaît. Il faut bien avouer que Leonore II, seule version à comporter trois actes, ne manque pas d'attraits. Sa fraîcheur, sa lisibilité dans l'évolution dramaturgique (Singspiel du I, mélodrame du II et tragédie du III), la caractérisation des personnages, majorée par une réécriture des dialogues due à lui-même, ne sont pas ses moindres atouts, auxquels s'ajoute un Final plein de suspense…

L'Ouverture séduit immédiatement par ses couleurs, ses contrastes et ses nuances. René Jacobs y fait magnifiquement sonner l'orchestre (timbales, trompettes) dans une lecture claire, ne sacrifiant aucun détail, suivant un phrasé d'une théâtralité qui annonce le drame à venir… Sous sa baguette, le se montre, tout du long, excellent et valeureux dans le soutien de la dramaturgie, comme dans l'accompagnement des chanteurs. Seules les performances solistiques des vents peuvent parfois paraître contestables, tout particulièrement les cors naturels dont le manque de précision et la sonorité nasillarde frôlent la caricature, entachant le grand air de Leonore au II : « Ach, brich noch nicht, du mattes Herz ! ».

Homogène et de haute tenue, le casting vocal réserve quelques belle surprises. Habituellement distribués à des voix plus « lourdes » strausso-wagnériennes, les rôles de Marzelline (), de Leonore () et de Florestan () surprennent, puis rapidement séduisent par leur fraîcheur et leur homogénéité. On regrettera toutefois que les timbres assez proches des deux héroïnes féminines ne brouillent un peu les cartes dans les nombreux ensembles de cette partition (surtout dans cet enregistrement purement audio). , dans le rôle-titre, convainc par l'amplitude de son ambitus, par sa diction irréprochable, ainsi que par sa ligne de chant souple, sans vibrato, autorisant des vocalises bien conduites, absentes dans Fidelio. (Marzelline) est en totale adéquation avec son rôle un peu volage, le timbre est étincelant, la ligne fluide et ductile ; seule la puissance trouve assez rapidement ses limites. Son duo avec Leonore au II : « Um in der Ehe froh zu leben », avec violon et violoncelle obligés, est aussi une particularité de cette partition. La basse profonde de donne au personnage de Rocco un relief plus vrai que nature dans son air du I : « Hat mannicht auch Gold beineben », attachant par son mélange de charisme et de paternalisme débonnaire. Face à lui le baryton de (Don Pizzaro) manque sérieusement de noirceur, de méchanceté et de projection pour paraître réellement crédible. Dans ce panel de voix allégées, le ténor lyrique de trouve naturellement sa place en Florestan. Son grand air du III : « Gott ! Welch Dunkel hier ! », fait valoir un timbre clair, d'une douceur qui contraste avec le drame, l'attente et la noirceur du prélude orchestral précédant (timbales et vents), la voix, entachée d'un large vibrato, y gagne en vocalises ce qu'elle perd certainement en héroïsme. (Don Fernando) et (Jaquino) complètent avec bonheur cette distribution.

On soulignera, enfin, la rigueur de la mise en place dans les nombreux ensembles de la partition ainsi que l'excellence du chœur de la Zürcher Sing-Akademie, deux éléments participant grandement à la réussite d'un Final grandiose (différent de celui de Fidelio par son suspense quasi hitchcockien).

Voilà bien, dans cette révision baroque, une Leonore qui n'a pas à rougir devant Fidelio !

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