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L’intégrale des enregistrements analogiques d’Isaac Stern pour Columbia

Pour le centenaire de la naissance d', Sony Classical sort un coffret de soixante-quinze disques regroupant l'intégrale des enregistrements analogiques de l'artiste pour Columbia.

est né à Kremenets, alors ville polonaise, dans une famille juive sécularisée. Quand il a un an, lui et ses parents émigrent à San Francisco pour chercher une meilleure vie. Son père, Solomon, est un artiste qui gagnait sa vie à Kiev comme peintre en bâtiment, tandis que sa mère, Clara, est chanteuse, formée au Conservatoire de Saint-Pétersbourg. Elle donne à Isaac, quand il a six ans, ses premiers cours de musique, au piano. Deux ans plus tard, il entre au Conservatoire de San Francisco pour commencer à apprendre le violon.

En tant que violoniste, Stern est un perfectionniste ne laissant rien au hasard, concentré totalement sur l'instrument, extrêmement exigeant envers lui-même comme envers les musiciens dont il s'entoure sur scène et au studio. Le moindre faux pas de leur part, comme le retard à une répétition, ou une faute d'un membre de l'orchestre, le met dans une colère qu'il exprime d'une façon nette, décidée et sans détours.

En revanche, sa sonorité est sans faille, l'une des plus belles et des plus soignées. Le vibrato – absolument délicieux – lui permet de déployer autant de lyrisme que de tendresse et d'élégance. Sa main gauche révèle une sûreté laissant les doigts serrer les cordes avec tension, exactitude et précision. Sous son archet, le violon dégage une pureté cristalline et ciselée, qui n'a d'égal que le naturel et la simplicité dont il fait preuve. La plupart de ses interprétations n'ont pas pris une ride. Sans avoir peut-être la musicalité, l'intimité et la profondeur de Menuhin,  témoigne d'une approche se situant entre romantisme et modernité : associant poésie et virtuosité, favorisant la fidélité à la partition, l'intensité et l'engagement physique, il ne laisse pas de place au maniérisme.

Le répertoire discographique de Stern s'étend du baroque au contemporain. Si la prestation des Quatre saisons de Vivaldi est inévitablement démodée, celle du Concerto pour violon n° 1 de Penderecki, dont Stern est le dédicataire, déborde de fraîcheur et de sensualité. Sous la direction de Stanisław Skrowaczewski, l'Orchestre symphonique du Minnesota excelle en termes de couleurs et de l'homogénéité.

Le violoniste se sent à l'aise aussi bien dans le registre classique (les concertos de Mozart et Viotti) que néoclassique (celui de Stravinsky). La légèreté de l'archet et la souplesse des phrasés s'y marient à merveille, rendant son jeu brillant et expressif, quoique pas trop extraverti. Pour rester dans le cadre des musiques du XXe siècle, évoquons les concertos de Bartók, Berg, Prokofiev, Hindemith et Rochberg, dans lesquels Stern séduit par la densité du ton et la finesse du discours. Par ailleurs, si la lecture du Concerto de Beethoven enregistrée en 1959 avec , manque curieusement d'élan, vraisemblablement du fait du chef, celle du Concerto de Brahms donnée à la même période sous la direction d', montre une sincérité du propos alliant harmonieusement le zèle et la douceur. De Brahms, on savoure également deux interprétations du Concerto pour violon et violoncelle op. 102 assurées par Stern et Leonard Rose, respectivement sous la baguette de (1954) et Ormandy (1964). Bien que toutes les deux soient viriles et puissamment contrastées, notre préférence va à la direction de Walter, plus vaste, plus narrative et plus chaleureuse.

Cependant, c'est aux gravures de jeunesse de Stern que nous revenons le plus souvent, et cela, en raison de leur spontanéité et de leur audace. Quelle virtuosité indomptable dans le Concerto de Tchaïkovski (enregistrement de 1949, avec Alexander Hilsberg sur le podium), quelle bravoure et quel enthousiasme dans le Concerto de Sibelius (1951, avec Thomas Beecham), enfin quel lyrisme flamboyant dans les Airs bohémiens op. 20 de Pablo de Sarasate (1946, avec ) et dans le Concerto pour violon n° 2 de Wieniawski (captation de 1946, avec Efrem Kurtz) ! Le deuxième mouvement de cette dernière œuvre n'a pas été égalé depuis. Pour toutes ces pages, le soliste est accompagné par des chefs et des phalanges de tout premier plan : outre les noms déjà cités, nous trouvons George Szell, Alexander Schneider, André Previn ou encore Zubin Mehta. Pour les formations symphoniques, cantonnons-nous à lister le Philadelphia Orchestra, le , le , le Royal Philharmonic Orchestra, l'Orchestre de Paris et le English Chamber Orchestra.

Isaac Stern met également au pupitre des œuvres écrites par des compositeurs du Nouveau Monde, comme et . C'est avec ce premier au piano qu'il grave la Sonate de celui-ci en 1968, et sous la baguette du second qu'il enregistre, en 1956, la Sérénade, d'après « Le Banquet » de Platon. Si les deux prestations caressent l'oreille par leur sérénité, Bernstein s'avère inégal car – contre toute attente – manquant de l'entrain si désiré dans cette partition.

Ce coffret réserve quelques surprises, des disques que nous avions déjà oubliés, comme celui dévolu aux mélodies japonaises, enregistré à Tokyo en 1979. Puis, une belle sélection de musique française, notamment la Symphonie espagnole de Lalo (deux exécutions, de 1956 et 1967), pour laquelle Stern subjugue par la ferveur et un ton plaintif, ainsi que Tzigane de Ravel (gravure de 1957) dont voici la meilleure interprétation que nous connaissions. La direction d'Ormandy séduit par sa fluidité, ses couleurs éclatantes comme par la transparence des textures.

Le vaste répertoire d'Isaac Stern englobe, hormis les pages pour violon et orchestre, la musique de chambre. C'est un domaine lui permettant – particulièrement pour le trio qu'il forma avec Eugene Istomin et Leonard Rose – de trouver un langage spirituel approprié pour refléter l'idée de communion, voire de symbiose entre les instruments impliqués. Ceci s'entend dans les trios de Beethoven, Schubert et Brahms, tout comme, d'ailleurs, dans le Triple concerto du premier. L'approche interprétative des musiciens met en valeur la noblesse de ces partitions.

L'entente n'en est pas moins perceptible à travers les prestations que Stern donne aux côtés du pianiste Alexander Zakin. Nous pensons ici aux sonates de Franck, Brahms, Bartók, Enesco, Prokofiev et Hindemith, de même qu'à des miniatures de type « Violin Favourites & Encores », de Kreisler, Dinicu, Dvořák, Schumann, Tchaïkovski, Milhaud, Gluck etc. Stern impressionne tant par ses capacités techniques (l'agilité dans les trilles dans Hora staccato de Dinicu) que par sa sensibilité, l'émotion, l'ambiance contemplative et son timbre voluptueux (Chant de Roxane et La Fontaine d'Aréthuse de Szymanowski). Zakin suit le violoniste avec délicatesse et précision, d'un toucher perlé favorisant une respiration ample et aérienne, et surtout faisant ressortir la diversité des atmosphères contenue dans ces œuvres.

La musique de chambre est également une importante partie du legs du légendaire Festival Pablo Casals, créé par ce dernier en 1950 à Prades dans les Pyrénées-Orientales, et pour lequel le célèbre violoncelliste réunit la fine fleur des interprètes de l'époque. Stern s'y produit avec Casals lui-même, Myra Hess, Alexander Schneider et Paul Tortelier, et ce, dans quelques concertos de Johann Sebastian Bach, le Quintette D. 956 de Schubert, ensuite le Quintette op. 44 de Schumann, ainsi que le Trio op. 8, le Sextuor op. 18 et le Quintette op. 111 de Brahms.

Ce coffret comporte aussi d'autres captations réalisées en public, notamment lors des concerts organisés en plein air à Jérusalem et Tel Aviv en juillet 1967, soit moins d'un mois après la guerre des Six Jours. Sous la direction de , Stern donne le Concerto op. 64 de Mendelssohn. On connaît le dévouement des deux artistes à la cause d'Israël. Cependant, ici, l'enthousiasme qui les accompagne pendant ce voyage, ne se ressent pas dans leur interprétation, seulement correcte.

Un autre événement public marquant fut le soi-disant « Concert du siècle » qui eut lieu le 18 mai 1976 au Carnegie Hall à l'occasion du 85e anniversaire de cette fameuse maison new-yorkaise, réunissant sur une scène Dietrich Fischer-Dieskau, Vladimir Horowitz, , Mstislav Rostropovitch, Isaac Stern et le dirigé par Bernstein. Stern joue le premier mouvement du Trio op. 50 de Tchaïkovski (avec Horowitz et Rostropovitch) et le Concerto BWV 1043 de Bach (avec Menuhin et Bernstein au clavecin !). La lecture du trio est sublime, mais souffre des touches ratées par Horowitz. Pour le double concerto du cantor de Leipzig, nous voilà face à un magnifique dialogue entre deux maîtres qui n'arrêtent pas de chanter. Deux ans plus tard, Stern présentera la même œuvre avec Itzhak Perlman et Zubin Mehta, lors d'un concert organisé le 24 septembre 1980 dans le cadre des célébrations de son soixantième anniversaire. Sous la baguette de ce dernier, Stern exécute également la Symphonie concertante pour violon et alto de Mozart, avec Pinchas Zukerman à l'alto.

L'inventaire des coopérations musicales d'Isaac Stern ne se termine pas là, ce coffret englobe les enregistrements qu'il réalisa avec David Oïstrakh ou Jean-Pierre Rampal, abordant des pages de… Vivaldi, toutefois les aficionados des interprétations historiquement informées passeront rapidement – et avec sourire – sur ces gravures qui paraissent à des millions d'années-lumière.

Voici un coffret qui a tout pour plaire énormément, tant par sa qualité éditoriale que par celle des repiquages et avant tout celle des exécutions qui nous sont livrées. Plus de soixante-cinq heures de musique dans une boîte. Un superbe objet !

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