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Hänsel und Gretel à Strasbourg : la face sombre des contes

A rebours de l'imaginaire enchanté de l'enfance, signe une lecture psychanalytique et sombre du conte des frères Grimm. 

Les théâtres demeurant fermés pour cause de pandémie à coronavirus, l'Opéra national du Rhin a pu néanmoins capter la production d'Hansel et Gretel qu'il avait prévue pour les fêtes de fin d'année. Le public du Grand Est, en manque comme partout ailleurs de spectacle vivant, a ainsi pu en bénéficier à travers la diffusion sur plusieurs chaînes locales et avec le soutien de la Région Grand Est et de France 3, qui prévoit également une diffusion nationale ultérieure.

La proposition de , en charge à la fois de la mise en scène, des décors et des costumes, ne s'adresse cependant pas aux enfants ; le site de l'Opéra national du Rhin conseille d'ailleurs un âge minimum de 10 ans. Car c'est une bien inquiétante et troublante histoire qui nous est ici narrée, exposant avec une certaine crudité les dessous psychanalytiques du conte (cf. Bruno Bettelheim). Au premier acte, la détresse morale et la misère matérielle de la famille d'Hansel et Gretel est traduite par un habitat de SDF : caravane en ruine, caddie de supermarché et monceaux d'immondices. A Nancy en 2017, Emmanuelle Bastet avait fait de même mais avait su insuffler progressivement poésie et féerie à ce point de départ misérabiliste. Ici, rien ne vient racheter les parents alcooliques au dernier degré, ni la mère dépressive et incapable d'affection, ni le père inconséquent et le plus souvent absent.

Au second acte et en dépit des magiques éclairages de Gilles Gentner (une splendide tempête de neige en particulier), c'est surtout la menace et l'angoisse qui sourdent de la forêt peuplée de créatures inquiétantes : rats et lapins au visage léprosé ou zombies à face de squelettes. Et si le Marchand de sable ou la Fée rosée se griment en clowns toujours ambivalents, c'est pour mieux endormir la méfiance des enfants et contribuer à leur capture. Quant à la maison de pain d'épices, elle prend l'aspect d'un « parc d'attraction désaffecté », où règne une sorcière en star hollywoodienne décatie qui ne cache ni sa décrépitude quand elle jette sa perruque, ni son désir plus que gastronomique pour le jeune Hansel : une sorte de « cougar » aux frontières de la pédophilie. Les chorégraphies réglées par Pierre-Emile Lemieux-Venne animent ces ténébreux tableaux : un peu plates au second acte, plus convaincantes au troisième sous forme de numéros de music-hall impeccablement réglés.

En Gretel, emporte tous les suffrages par sa fraîcheur, sa vivacité, sa prononciation de l'allemand et sa voix limpide aux aigus lumineux. Plus tourmenté et introverti, son frère Hänsel trouve en une interprète sensible à la sonorité chaude et enveloppante. Avec ses aigus acides et tranchants, est parfaite en mégère acariâtre et colérique, tandis que dans le rôle de Peter, le père, fait preuve d'une belle énergie mais ne peut masquer quelques difficultés vocales, notamment dans des aigus souvent à l'arraché et instables. Outre la très séduisante double incarnation d' en Marchand de sable et Fée rosée, on demeure impressionné par la performance du ténor en sorcière travestie, qui se joue avec délice et brio des poses suggestives outrées et des chorégraphies de music-hall sans jamais sacrifier sa partie vocale.

Afin de limiter (légèrement) le nombre d'instrumentistes en fosse, le choix s'est porté sur une version pour orchestre de chambre réalisée par Tony Burke. Avec toutes les réserves liées à une captation sonore qui peut modifier le ressenti en salle, l' y sonne assez lourd et compact. Alors que bois et vents se montrent volubiles et chatoyants, la sonorité des cordes sature dans les tutti ou s'appauvrit dans les passages plus retenus. De plus, la direction de tend à accentuer la rythmique pesante à trois temps des Ländler mais réussit moins à traduire les subtilités et les couleurs orchestrales de la fin de second acte.

Un spectacle pour adolescents et adultes, porté par une distribution séduisante et un orchestre à la vigueur un peu trop affirmée.

Crédits photographiques : (la Sorcière) / (Hänsel), (Gretel) © Opéra national du Rhin

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