- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Les élans montéverdiens selon Anna Lucia Richter

signe un superbe disque consacré aux œuvres de .

Le répertoire de la jeune soprano englobe aussi bien des musiques baroques, classiques et romantiques que celles du XXe siècle, allant du lied aux grands oratorios voire symphonies. Avec ce programme, elle confirme être une excellente interprète des compositions de Monteverdi, qui – avec leur caractère intimiste et théâtral, mais également leur complexité – lui vont comme un gant.

est dotée d'une voix mélodieuse et brillante, à l'aise dans les aigus et les suraigus, solide et souple dans le medium, sombre dans les graves, associant les qualités d'un soprano léger et celles d'un mezzo-soprano. Par son timbre, elle fait quelquefois penser – dans ce répertoire – à celui de Montserrat Figueras, mais elle demeure plus naturelle et plus équilibrée que cette dernière. Si on devait définir les lectures données par Richter de la manière la plus courte et la plus précise possible, on dirait « limpidité », puis « sincérité d'expression », « pureté » et « modération ». Les œuvres qu'elle aborde sont d'une variété des climats quasiment infinie. Chaque tentative de les teinter d'un déferlement de colorature, ce qu'elle n'entreprend pas, risquerait de gâter l'interprétation par excès d'emphase. Si la chanteuse ne renonce pas à la virtuosité, elle semble trouver un juste milieu entre l'éloquence et la sobriété dans ces musiques aussi délicates que pleines d'affects. Elle s'y montre tel un caméléon, pouvant s'adapter avec facilité à leur potentiel dramatique, quel que soit leur tempérament.

Le Prologue « Dal mio Permesso amato » extrait de L'Orfeo qui ouvre cet album, révèle l'importance qu' confère à la dimension tragique de cette histoire, notamment par l'intermédiaire des contrastes de tempo (ralentissement avant la dernière strophe) ou d'un chuchotement. Toutefois, l'accompagnement proposé par l' et apparaît prosaïque et trop rapide, privant cette prestation de son côté grandiose.

Dans le Lamento d'Arianna, Richter alterne entre douceur et intensité, tendresse et séduction, utilisant le vibrato comme ornement. Animée par un sens aigu de la théâtralité, elle subjugue par une voix riche en demi-teintes, oscillant entre le clair et l'obscur. Sa déclamation gagne en ardeur et s'avère particulièrement passionnée dans les climax, évocateurs et émouvants.

Un changement radical d'ambiance est perceptible dans l'exécution du madrigal Zefiro torna de Scherzi musicali, dont la première partie, présentée par la soprano dialoguant avec un violon, se déroule dans un débordement d'enthousiasme, sur le fond d'une pulsation clairement marquée de la chaconne et des phrasés flexibles de l'accompagnement dont on savoure une large palette de couleurs. Soudain, d'une façon imprévue, se joint à elle le contre-ténor ; pour quelques instants, l'atmosphère devient morose, avant de se transformer en une démonstration vive de la joie, magnifiée par deux voix homogènes, et qui se manifeste par l'exubérance des vocalises entraînées dans un tourbillon d'une virtuosité à couper le souffle dans le moment final.

Une pareille jubilation est audible dans l'interprétation du madrigal Ohimè ch'io cado. Derrière ce réjouissement se cache cependant l'ironie et l'humour du texte, soulignés par une forte accentuation du rythme par le clavecin. Dans Si dolce è il tormento, Anna Lucia Richter n'atteint pas le raffinement de Philippe Jaroussky, mais en revanche, elle envoûte par la profondeur de sa lecture, donnant intelligemment un sens à chaque consonne et voyelle, sans jamais manquer de simplicité. Paradoxe ?

Dans Pur ti miro, elle propose, avec , un duo d'amour lumineux et sensuel, d'une finesse qui paraît extrême, bien que le vibrato de la soprano soit parfois un peu trop serré dans les sons élevés. Dans La mia turca, où des climats orientaux sont introduits tant par l'utilisation de gammes musicales ottomanes que par l'emploi d'une percussion, Richter atteint des sommets en termes d'émotion et de suggestivité. Par ailleurs, dans Confitebor tibi Domine, une page sacrée, elle impressionne tant par la légèreté que par la chaleur et l'élasticité de sa voix.

Dans le Lamento della Ninfa, elle est accompagnée par un petit chœur harmonieux de deux ténors (Ciro Aroni et Teo Aroni) et une basse (Alessandro Ravasio). L'exécution est proposée suivant les indications de Monteverdi lui-même : « […] les trois parties vocales qui commentent à distance la complainte de la nymphe sont séparées de manière à être chantées selon le rythme d'une poignée de main (al tempo della mano) ; les trois autres parties vocales qui la plaignent doucement sont censées suivre la complainte de la nymphe, qui doit être chantée selon le sentiment de l'âme (a tempo de l'affetto del animo) et non selon le rythme de la poignée de main (e non quello della mano) ». La suavité expressive de la soprano caresse l'oreille du début à la fin de cette pièce, ne la privant en aucun instant d'intimité, d'élégance ni de drame.

Malgré les menues réserves concernant l'accompagnement, voici le plus beau disque de la musique de Monteverdi pour une voix féminine depuis les enregistrements de Cathy Berberian. À goûter avec un verre de bon vin rouge en main.

(Visited 1 088 times, 1 visits today)