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Épuisant mais sublime parcours Weinberg par Gidon Kremer

Par ce nouvel enregistrement, couple pour la première fois au disque les deux œuvres pour violon de composées lors de l'été 1959 et destinées à son prestigieux de voisin de datcha vacancière, Leonid Kogan.

Le violoniste grave enfin, soixante ans après leur composition, ces pages qui lui vont comme un gant, plus avec le souci de l'hyper expressivité et d'un fiévreux engagement que d'une très accessoire beauté sonore ou d'une perfection irréprochable mais glacée ou superficielle.

a beaucoup contribué ces temps derniers – et pour différents labels – à la (re)découverte de l'œuvre de Weinberg. Il narre dans l'entretien qui accompagne le présent enregistrement comment est né son intérêt croissant pour ce compositeur, à la fois comme fondateur de la Kremerata Baltica puis comme musicien soliste et chambriste de premier plan : en témoignent de déjà remarquables enregistrements parus chez ECM ou DGG, et souvent chroniqués et salués en ces colonnes.

A la fin des années 1950, le ciel s'éclaircit soudainement pour Weinberg, après de très noires périodes (fuite de la Pologne où périt une partie de sa famille dans les camps de concentration, tribulations en URSS où le régime stalinien l'accuse d'activités sionistes antisoviétiques et l'emprisonne !). Vient donc le temps d'une certaine reconnaissance. Le magnifique film de Mikhaïl Kalatozov « Quand passent les cigognes » obtient la palme d'or à Cannes en 1958, Weinberg est l' auteur de la bande son et connait indirectement un succès d'estime en Occident.

L'année suivante, il compose dans sa datcha et en quelques semaines pour Leonid Kogan (et son épouse Elisaweta Gilels, sœur cadette du pianiste) les deux présentes partitions. Le Concerto pour violon op. 67 sera une de ses premières œuvres à être diffusée en Occident par le truchement des disques Melodiya sous l'archet de son dédicataire et sous la baguette de Kirill Kondrachine.

L'ambiguïté de la dédicace du concerto à Kogan « le violoniste communiste » – comme ironisait à son sujet finement l'ami Chostakovitch – , et probable agent du KGB lors de ses tournées à l'Ouest ne laisse aucun doute, avec notre recul de soixante ans : cette partition complexe se révèle multiple, humaine, brutale, rêveuse, bref très composite par ses paradoxes et ses rapprochements (il y a même une courte mais capitale citation de la « petite » Symphonie en sol mineur KV 183 de Mozart au fil du finale), bien au-delà de son parcours relativement classique en quatre mouvements. Serait-ce le portrait de cet « ami » qui vous veut du bien mais dont il faut se méfier ? Elle joue sur un intense travail motivique autour de quelques éléments clés en perpétuelle mutation : la courte cellule tourmentée qui lance l'œuvre la conclura, très ralentie et à peine reconnaissable, dans le silence sinistre d'un orchestre vaincu.

Kremer avoue, au fil du passionnant entretien joint à l'album, avoir eu beaucoup de mal à totalement apprivoiser ce concerto, notamment du fait du voisinage entre le début de final volontairement « trivial» par son côté « officiel » et l'extinction de la sublime méditation de l'adagio – d'un onirisme nocturne presque bartokien. Mais le violoniste a dépassé ses appréhensions et aborde à bras le corps l'œuvre, dès cet Allegro initial lancé à toute allure par un simple éclat percussif, sans la moindre introduction, sorte de lutte impitoyable avec un orchestre – tantôt massif tantôt finement étiolé (le célesta solo !). Certes n'a plus (et n'a peut-être jamais eu) la sonorité la plus élégante au monde – dans cette œuvre on la cherchera surtout chez (Warner) ou (Challenge Records) voire chez Benjamin Schmid (Capriccio) – ni la virtuosité véloce et démonstrative et assez vide de sens du dédicataire Kogan…. La tenue d'archet, au fil de la cadence de l'Allegretto et dans les ultimes mesures du très sensible Adagio n'est pas au-delà de tout soupçon. Mais quel engagement expressif, quasi héroïque dans les temps extrêmes à force d'une tension permanente, de surcroît captée en concert public, magnifiée par un … « de fer » en grande forme, aussi précis qu'acéré ou disruptif sous la baguette contrastée, attentive et très concernée de .

La Sonate pour deux violons op. 69 donnée avec le concours de la jeune violoniste Madara Petersone confirme cette vision austère et sans concession de l'univers weinbergien. Loin de la version presque ludique et gourmande, de Stefan et Gundula Kirpal – en complément d'une remarquable intégrale des Sonates pour violon et piano parue chez CPO, en première gravure mondiale de l'œuvre d'ailleurs – Kremer et sa partenaire s'écartent d'un de natura sonoris hédoniste pour une version toutes griffes dehors, où le talon de l'archet souvent l'emporte sur la pointe et où la maîtrise instrumentale se voue avant tout à la mise en valeur de l'écriture. Dès le ludique jeu de variations permanentes de l'Allegro molto initial jusqu'aux ultimes mesures d'un Allegro final exténuant, les deux partenaires jouent ici la carte de l'intransigeance et de la tension permanentes, même au cœur du plus serein Adagio. Une version étonnante de sévérité et de « rage » contenue de cette œuvre, mais en parfaite osmose avec la vision du concerto précédent – dont elle ne constitue point ici l'antidote mais bien le prolongement.

Un très grand disque altier et intransigeant, rétif mais passionnant, bien dans la manière et l'esthétique tardives de Gidon Kremer.

Pour aller plus loin, un album Clef ResMusica : 

Mirga Gražinytė-Tyla et Gidon Kremer signent un disque majeur de Weinberg

 

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