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L’Allegro, il penseroso ed il Moderato : la sérénité enjouée des Arts Florissants à Beaune

Figure incontournable de l'univers baroque, et donc du Festival de Beaune, enchaîne les anniversaires : après ses 30 de présence dans la manifestation de la capitale des vins de Bourgogne, les 35 ans aujourd'hui fêtés, sont formidablement joyeux grâce à L'Allegro, il penseroso ed il Moderato de Haendel.

La fête aurait pu être gâchée tant le contexte sanitaire est contraignant, et même si c'est une version remaniée qui est proposée, soit un peu moins d'une heure trente de musique sans entracte justifiée par les mesures COVID à respecter – probablement plus pour les artistes que pour le public présent dans la basilique, sans jauge et sans couvre-feu mais en respectant les gestes barrières -, l'ode pastorale empreinte de dualité et de sentiments contrastés fait sensation. Ce choix de remaniement n'impacte aucunement la nature de l'œuvre, sachant que celle-ci fut l'objet de multiples versions au gré des reprises, à un point tel qu'aucune partition n'a été jugée comme définitive. En cela, s'inscrit dans la tradition !

L'Allegro, il penseroso ed il Moderato, malgré quelques enregistrements et la version chorégraphiée de Mark Morris vue à Seattle et disponible en DVD, ne semble pas avoir été popularisé auprès du grand public bien que pourvu de nombreux atouts. Même si le manque d'action peut être un frein, les différentes sections des trois parties se caractérisant plutôt par une succession de tableaux, l'évocation de la nature et de l'âme typiquement anglaise (jusqu'en utiliser la langue !) foisonne d'idées et de contrastes réjouissants par ses couleurs pittoresques et ses effets imitatifs bien articulés qui s'écoutent d'une traite avec un plaisir évident.

L'ouvrage s'appuie sur le travail du librettiste Charles Jennens, en collaboration avec le philosophe James Harris, qui choisit une sélection de vers de deux poèmes de jeunesse de John Milton, L'Allegro et Il Penseroso, pour les mêler afin de créer une discussion imaginaire entre le personnage joyeux (l'Allegro) et le protagoniste plus méditatif (il Penseroso), même si on peut finalement parler d'une alternance de monologues plutôt que d'un véritable dialogue. Création totale de Charles Jennens, typique du XVIIIe siècle, il Moderato fera son apparition en dernier, avec pour rôle de modérer les propos de chacun en vue d'une réconciliation raisonnable pour tous. Cette allégorie poétique, ode pastorale en trois parties associées à ces trois incarnations symboliques, mêle ainsi rire et contemplation, joie et mélancolie, tout en gardant une construction parfaitement lisible, les trois parties démarrant et se concluant par le personnage dominant : l'Allegro pour la première partie, le Penseroso pour la deuxième, et le Moderato pour la dernière.

Un « rôle » n'est ici pas associé à une voix, et cela même si chaque caractère chante en aria et en récitatif. Ainsi, ils peuvent être distribués entre les solistes (soprano, ténor et basse) tout comme au chœur. Par exemple, dans la première partie, l'Allegro est assuré par le ténor (Hence loathed Melancholy) puis la soprano (Sweet bird) et la basse (Mirth, admit me of thy crew !), tous trois lauréats de la pépinière de talents des Jardin des voix ; la dernière intervention de l'Allegro est quant à elle assurée par la soprano Maud Gnidzaz, membre du chœur des Arts florissants (Or let the merry bells ring round).

En début de soirée, dès sa première intervention, affirme une gouaille et une fantaisie de bon augure, fort d'une diction exemplaire et d'une générosité communicative, tout comme d'un aigu homogène et sonore ainsi que d'un timbre séduisant de par sa fraîcheur. marque naturellement les esprits grâce à son duo avec la flûte traversière, où tel le chant d'un rossignol mélancolique, son chant étincelle grâce à une aisance technique sans pareille, la souplesse de ses vocalises et une ligne de chant parfaitement maîtrisée. La délicatesse de son timbre intensifie chacune de ses interventions au fur et à mesure de la représentation. Mais reconnaissons que l'agilité de la flûte traversière de Serge Saitta aurait tendance à lui voler la vedette, tant le dialogue entre les deux intervenants se joue à force égale. Les applaudissements bien mérités après ce Sweet bird, soulignent l'un des moments les plus marquants de la soirée. Le cor de Glen Borling se révèle moins victorieux dans la chasse matinale qui suit, même s'il est vaillamment soutenu par un au timbre riche et aux couleurs variées.

Surprenant à prime abord, la position des chanteurs sur le devant de la scène, les six choristes compris, demande à de régulièrement diriger face au public, sans finalement être toujours vu par les destinataires de ses gestes. Mais cela ne pose aucune difficulté d'exécution, se révélant même une véritable chance pour les spectateurs qui profitent de l'aura du fondateur des Arts florissants, totalement imprégné de la musique de Haendel, les yeux au ciel ou lové dans une attitude méditative paisible. A travers les onze instrumentistes de la soirée, on retrouve la sensibilité et la précision qui habitent la formation. William Christie choisit d'apporter une version raffinée, sereine et enjouée de cette partition dont la diversité des airs et la richesse de l'écriture musicale en font un chef-d'œuvre de créativité et de fraîcheur. Preuve en est lors de la formidable imitation des rires sur la répétition de « o » de « holding » repris en bis à la fin de la soirée (And laughter, holding both his sides), tellement communicative que de nombreux sourires se cachent derrière les masques des spectateurs.

Crédits photographiques : © Festival International d'Opéra Baroque et Romantique de Beaune

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