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Les songes d’Elektra au Festival de Salzbourg

Au Festival de Salzbourg, Welser-Möst et Warlikowski créent à l'unisson un spectacle d'une exceptionnelle force poétique avec Elektra.


En 2018, avait découvert la scène large et étroite de la Felsenreitschule pour Les Bassarides, et il avait commis l'erreur des débutants en voulant occuper la scène jusqu'à la surcharge. Pour cette Elektra créée en 2020, il a pris la juste mesure de ce plateau hors normes en proposant une mise en scène qui concilie lisibilité et poésie dans un décor proprement sensationnel de sa partenaire artistique Małgorzata Szczęśniak. Rien de révolutionnaire dans son approche, pas de réinterprétation de l'œuvre.

Au début du spectacle, une grande boîte alternativement transparente et noire figure le palais sur la gauche de la scène, et une cour fendue d'un long bassin dont on devine qu'il est le lieu de l'assassinat d'Agamemnon ; les servantes, elles, ont oublié ce passé traumatique et l'utilisent comme un simple point d'eau. Trois mannequins inertes figurent les trois victimes précédentes de l'histoire : Iphigénie, Agamemnon et, croit-on, Oreste, spectres dont la présence ne se laisse jamais oublier. Quand Oreste vient finalement pour tuer les coupables des morts précédentes, le palais coulisse pour venir prendre place au-dessus du bassin. Le sang appelle le sang.

Warlikowski, dès sa sensationnelle Iphigénie en Tauride, est fasciné par la trace indélébile des générations passées que la tragédie grecque donne à voir : s'il met en scène le drame de trois femmes unies et déchirées, il le situe dans un halo mythologique qui rend cruellement présents les fantômes du passé. La cohérence d'ensemble du spectacle est celle des rêves, qui n'ont pas besoin de logique et de raison apparentes pour revenir nous hanter.

On a sans doute rarement entendu moins de décibels dans cette œuvre, et l' laisse entièrement ignorer cette fois la charge de travail écrasante à laquelle il est soumis pendant le festival de Salzbourg. propose une interprétation qui ne pourrait mieux accompagner le spectacle de Warlikowski : non seulement il permet d'entendre le texte chanté, ce qui est toujours un bénéfice pour le spectateur, mais il parvient à créer du théâtre et de l'émotion par des moyens qui ne sont pas ceux des affrontements brutaux. L'orchestre trouve des nuances dans la couleur du son, des vents lancinants, des cordes graves d'une âcreté qui prend à la gorge.

La distribution est à la hauteur de ce double événement scénique et musical, ne serait-ce que parce qu'elle bénéficie d'une direction d'acteurs particulièrement inspirée. Dans le rôle-titre, est l'image même des femmes que Warlikowski met en scène, fataliste et moqueuse, triste et pourtant active. La voix ne suit pas toujours, comme si elle peinait par moments à concilier le texte et la musique, au détriment des deux à la fois ; dans ses meilleurs moments, l'incarnation est stupéfiante, ce qui rend les moments de faiblesse d'autant plus regrettable. illustre bien la tendance récente à confier le rôle de Clytemnestre à des voix lyriques plutôt qu'à des caricatures dramatiques, et c'est un grand bénéfice pour l'œuvre qui gagne en émotion beaucoup plus qu'elle ne perd en grand-guignol. Une très belle Chrysotémis (), un Egisthe efficace et sobre () et un Oreste concentré et tendu () leur tiennent compagnie dans les différents rôles.

Crédits photographiques : © Salzbourg Festival / Bernd Uhlig

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