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Les Enfants de Britten et de Théophile Alexandre

L' confie le destin de la planète aux enfants, via Children of Britten, un spectacle chorégraphié et mis en scène par .

En 2019, le Pôle d'Excellence Voix d'enfants/Espace scénique entérinait, au Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul, dont Charlotte Nessi assure la direction depuis 2009, « le fruit de dix années de recherche, collaboration, travail sur la voix d'enfants et l'espace scénique ». Dix années qui ont suscité l'intérêt d'artistes reconnus, et accouché dans la foulée de productions enfantées « dans les mêmes conditions qu'une production professionnelle, avec de vrais sujets qui ne confinent pas les enfants dans un monde merveilleux sans réflexion. »

L'actualité de notre monde est la matière du beau spectacle imaginé par pour 44 adolescents de la région Bourgogne-Franche-Comté. Quelle meilleure bande-son, dans cette optique, que la musique de , quel meilleur guide que celui dont on connaît l'indéfectible engagement citoyen comme le regard posé jusqu'à son dernier opus (Welcome Ode for young people's voices and orchestra de 1976) sur l'enfance. Les œuvres choisies sont justement des œuvres de jeunesse toutes antérieures au magnifique corpus des dix opéras du compositeur : huit des douze Friday Afternoons, composées entre 1933 et 1935 ; l'intégralité (sans sa Procession) de A Ceremony of carols (1942), dont l'on nous rappelle qu'elle fut destinée d'abord à un chœur d'enfants ; cinq des quarante-sept Folksongs ; le bref brelan des Three two parts songs ; les Five Waltzes pour piano solo et la fugue pour harpe seule de la Suite opus 83 en guise d'articulation.

Children of Britten décline sur trois actes trois « grands questionnements tiraillant notre monde » : Être, Avoir, Aimer, qu'une craie sur tableau noir transforme en malicieuses et shakespeariennes variations, To be or not to be, To have or not to have, To love or not to love. Un touchant extrait d'une interview de 1968 fait entendre la voix de Britten qui, huit ans avant sa mort, tenait à professer son pacifisme (il fut objecteur de conscience) et sa foi conjointe en l'Art, rappelant au passage que l'artiste ne doit pas « rester dans sa tour d'ivoire », qu'il a « des devoirs envers ses semblables », concluant d'un élégant : « Et d'ailleurs ce n'est pas qu'un devoir , c'est aussi un plaisir. »

Des brumes dissipées du Temps (symbolisées par de mystérieux fumigènes), se détache la cour de récréation, ceinte de bancs de bois, d'un austère pensionnat, probablement celui de Clive House School, où le frère du compositeur dirigeait le chœur d'enfants pour lequel fut composé Friday Afternoons, matière musicale de l'Acte I. En blouse noire, on prend la pose pour la photo de classe avant de visiter le quotidien contrasté (jeux mais aussi brimades) d'une enfance apprenante. Puis les blouses noires de jadis glissent quasi-imperceptiblement pour laisser apparaître l'aujourd'hui d'un Acte II qui tacle le sapin de Noël en symbole du consumérisme. The Rainbow conclut un III prônant un universalisme des échanges amoureux, tendance qui pourrait être très tendance (La Péniche Offenbach de l'Ensemble Justiniana creusait le sillon l'été dernier) si elle n'était mise à mal par certaine accablante actualité de ce début de siècle.

, danseur, haute-contre, chorégraphie avec une inventivité prodigieuse la troupe composée des enfants et des adolescents de l'atelier chant-danse-théâtre du Pôle d'excellence vésulien à laquelle se sont joints ceux de la Maîtrise du Conservatoire à rayonnement départemental du Grand Dôle. Un jeu d'orgue très fouillé habille l'espace scénique dépouillé qu'habitent les seules circonvolutions (mention spéciale pour l'horloge humaine en mouvement sur Cuckoo) de jeunes artistes, qu'un mouvement perpétuel leur laissant peu de repos sollicite subtilement. Toutes et tous, donnant l'impression que danse et chant sont indissociables, prolongent en collectif le pari en solo d'ADN Baroque conçu en 2018 par et pour Théophile Alexandre soi-même.

Seulement cadrées, à jardin par le piano de , à cour par la harpe de (précis, d'une grande musicalité, les deux artistes se rejoignent pour un effet maximum sur l'irrésistible This little babe), les voix, préparées par , mais non dirigées (les danseurs-chanteurs sont autonomes) affichent homogénéité, pureté et radieuse justesse. Quelques soli d'une touchante fragilité font mouche.

Même si l'on regrette un brin que le spectacle n'aille pas crescendo (à l'Acte III le visuel reste en-deçà du sémantique), on n'oubliera pas la grâce d'une démarche (l'Acte I est vraiment brillant) qui, le temps d'une heure, aura rappelé la précieuse modernité de Britten, en lui offrant de surcroît, veilleurs et militants comme lui, les enfants qu'il n'a jamais eus.

Crédits photographiques: © Yves Petit

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