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À la Philharmonie de Paris, Tugan Sokhiev et Berlioz à l’unisson

Avec la Symphonie fantastique suivi du rare Lélio, Tugan Sohhiev, l' et l' rendent un bel hommage à Berlioz.

La Symphonie fantastique de Berlioz (1830) autorise toutes les audaces interprétatives : on se souvient encore de celle donnée par Sir Eliot Gardiner, dans cette même salle, sur instruments d'époque, en 2018 ; bien que différente sur le fond comme sur la forme (instruments modernes) l'interprétation livrée ce soir par s'inscrit dans cette même veine, faite d'originalité et de romantisme sauvage. Dans le premier mouvement Rêveries et Passions le chef préfère, à l'évidence, la passion (cordes et cuivres) à la rêverie (petite harmonie) usant d'abondantes nuances, de contrastes marqués et de récurrentes fluctuations agogiques pour entretenir un phrasé narratif, tendu, tout imprégné d'attente, théâtral, presque chaotique traduisant la succession des visions opiacées. Le Bal, suivant la même inspiration, ne saurait faire aucune concession à une quelconque mièvrerie salonnarde. Mené sans galanterie excessive, élégant certes mais chargé d'inquiétude, il fait la part belle aux cordes et à la harpe. Rien de pastoral non plus dans la Scène aux champs : initiée par le dialogue lugubre et menaçant entre cor anglais et hautbois, ce troisième mouvement fait de passion et de violence contenue surprend et séduit tout à la fois par sa lecture très analytique où se distinguent tous les pupitres (petite harmonie, cor, timbales, cordes). La Marche au supplice en s'appuyant sur une dynamique conquérante, presque épique, et des contrastes saisissants, prend des accents quasiment expressionnistes. On y admire la clarté de la texture et la rigueur de la mise en place (cordes graves, basson, timbales et cuivres) tandis que le Songe d'une nuit de sabbat impressionne par son sentiment d'attente et de mystère, ou son foisonnement de timbres (cloches, tuba, trombones, petite clarinette) tout autant que par son savant mélange d'ombre et de lumière qui jamais ne cède à une quelconque confusion avant l'embrasement apocalyptique final porté par le Dies irae.

Après une telle interprétation d'une séduisante âpreté, soutenue par un orchestre chauffé à blanc et une orchestration d'une exceptionnelle exubérance, on était en droit de redouter une certaine fadeur à l'écoute de Lélio ou le retour à la vie : monodrame lyrique (1831), alternant morceaux chantés et monologues dramatiques empruntés à Goethe, Shakespeare, mais incorporant également des pages anciennes réactualisées. Un mélologue qui fut composé comme un complément à la Symphonie fantastique pour nous conter les divagations du héros après sa tentation suicidaire et ses hallucinations opiacées… Une page, avouons-le, souvent d'un intérêt anecdotique, simple curiosité, empreinte d'un romantisme un peu grandiloquent et daté, parcouru en filigrane par la célèbre idée fixe comme le souvenir tenu d'Harriet Smithson que Berlioz épousera un an plus tard…

Contre toute attente, c'est bien à rebours de ce jugement défaitiste que s'inscrit la lecture de qui nous offre un Lélio passionnant, dont , en récitant-acteur parvient à gommer tout l'éclectisme délétère pour regrouper les différents épisodes dans un discours passionné, cohérent et coloré. Les chanteurs participent également de la fête : qui exploite au mieux son ténor léger, avec de sublimes aigus filés, pour donner à la Ballade du pêcheur et au Chant du bonheur tout leur potentiel d'évocation rêveuse, passionnée et poétique ; , en parfaite osmose avec le chœur, mais parfois légèrement couvert par l'orchestre, fait valoir son baryton goguenard dans la Chanson des brigands ; l', bien chantant comme à son habitude, livre un Chœur des ombres glaçant d'effroi, de mystère et d'affliction, tandis que l'ONCT entoure les différents épisodes du récit de tout le lustre orchestral nécessaire dont on signalera simplement les trombones, percussions et cordes graves (Chœur d'ombres), petite harmonie, cordes et harpe (Chant du bonheur ), le magnifique solo de clarinette (Harpe éolienne) et l'ensemble orchestral tout entier dans la Fantaisie sur la tempête.

Crédit photographique : © Marc Brenner

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