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Toast français pour le Nouvel An à Tourcoing

L'atelier Lyrique de Tourcoing a proposé en ce début janvier un concert pétillant de Nouvel An à la française, donné par Les Siècles, l'orchestre en résidence, dirigé par

Le programme, intégralement français, établi en collaboration avec le , alterne tubes de musique légère ou plus sérieuse et pages inconnues, noms célèbres et compositeurs tombés dans l'oubli. Les climats sont également très variables, car outre les traditionnelles danses de bal, communes de Vienne à Paris, ont été sélectionnées diverses pages, telles entre autres une évocation des Flandres avec ce court extrait du ballet Le carillon de Massenet – une scène de cabaret rappelant le mouvement éponyme des scènes alsaciennes du même auteur les espagnolades d'un , extraites d'un Paris-exhibition, composé en marge de l'exposition universelle de 1889, les Troyennes du ballet de Faust de Gounod, ou encore l'Écosse, croquée par cette la valse tirée du Forgeron de Gretna-Green, œuvre tombée aux oubliettes de l'histoire musicale, signé .

Car en France, de 1789 à 1914, la danse s'impose non seulement par le ballet, mais aussi comme fondement social de la fête, depuis les réjouissances populaires provinciales jusqu'aux cénacles institutionnels de la capitale. C'est à l'avènement du Second Empire que valses, polkas, quadrilles et autres galops connaissent leurs plus éminentes floraisons. A la manière de leurs collègues viennois, mais avec un style original et un peu différent par une accentuation rythmique plus carrée, , , ou le demeuré plus célèbre, (ici présent avec ses célèbres Patineurs), officialisent la valse comme pièce maîtresse des bals de la haute-bourgeoisie et de l'aristocratie à l'époque de Napoléon III.

Certains maîtres, pourtant réputés pour leur sérieux très docte, s'encanaillent ainsi par le truchement de ce répertoire circonstanciel : un , dans son ballet la Farandole, évoque par la valse « les âmes infidèles », là où Saint-Saëns se sert du même médium comme très subtil et bien plus réussi intermède scénique, pour son drame lyrique le Timbre d'argent. Et bien entendu, la célèbre « Valse lente », extraite de Coppélia, nous démontre quel comble d'élégance et de style pouvait atteindre un très inspiré, même pour dépeindre les entrechats d'une danseuse maquillée en poupée mécanique.
Le , pour ce concert de Nouvel an, par ses habiles recherches a convoqué aussi des noms assez oubliés, comme ceux de Victorin de Joncières, pour une valse assez développée extraite de son drame Le Chevalier Jean, ou encore de – nous gratifiant d'une suave évocation érotique, aux portes de la grande Guerre, avec son « Amour s'éveille…. » . Dans d'autres tempi, le galop « grande vitesse » de Waldteufel, évocation des premiers voyages en train à vapeur est une très spirituelle et figurative réplique hexagonale à la célébrissime polka-schnell de Johann Strauss Vergnügungszug, alors que la Hébé-Polka d' par ses amusantes onomatopées musicales ou la très humoristique Ouistiti-Polka de Musard rivalisent de goguenardise.

Les autres pages sont bien plus que de simples intermèdes entre ces scènes de danse. ne méritait pas l'opprobre à laquelle l'ont voué certains de ces confrères : l'ouverture de Raymond ou le Secret de la Reine de 1851, seule page ayant survécu d'un opéra à grand spectacle complètement oublié, par son habileté, et malgré quelques trivialités, montre une réelle inspiration mélodique, et un art certain pour la combinaison des thèmes principaux de l'œuvre au fil d'un pot-pourri ravageur. Si l'on ne présente plus le prélude à l'acte III de Carmen ou l'adagietto de la musique de scène pour l'Arlésienne de , pages d'une souveraine et limpide fraîcheur, et d'une émouvante simplicité, la palme de ce somptueux programme revient sans doute au court fragment « Aux étoiles » d', l'un des deux seuls extraits parvenus d'une Roussalka longtemps projetée, mais abandonnée du fait des troubles de personnalité de l'auteur.

Toutes ces pages sont magnifiquement défendues par un très en verve, mais discipliné. Le recours à l'instrumentarium d'époque permet de savourer les timbres « authentiques » loin de toute verdeur aseptique, avec ces pupitres de cordes, toutes de boyaux tendues, et jouées quasi senza vibrato, cette petite harmonie fruitée, ces cuivres plus feutrés et moins perçants où par exemple, au fil des pages, l'ancienne ophicléide se substitue au tuba. L'on remarquera quelques belles individualités comme la première flûte charnue et sensible de Marion Ralincourt, la truculente trompette de Fabien Norbert, ou la harpe aérienne de Valeria Kalefnikov.

Par sa direction précise et rythmiquement très en place, François–Xavier Roth veille à l'articulation idoine du discours, parfois au prix dans certaines valses (les Patineurs ) d'un soupçon de raideur, mais ailleurs il se prête au jeu et au gag sonore et visuel : le Grande Vitesse de Waldteufel le voit se muer, sifflet rouge vif en bouche, en authentique chef …de gare.

L'irrépressible quadrille d' sur les thèmes d'Orphée aux enfers, ponctuée par une adaptation du célébrissime « Cancan » clôt le programme « officiel » de ce plantureux concert, mais, en bis nous est proposée l'entraînante Della Bocca Polka d'Emile Waldteufel, donnée une première fois par l'orchestre seul et une seconde, façon marche de Radetzky, avec les applaudissements nuancés du public, mené tambour battant par un hilare.

On espère, au vu de la qualité musicale du projet, du succès public mérité, et surtout du répertoire abondant en la matière encore à (re)découvrir, que cette réussite ne restera pas sans lendemain et que pourra peut-être émerger, qui sait, la tradition d'un concert de Nouvel An « à la Française» dans les années à venir. Champagne !

Crédits photographiques : F.X. Roth en la salle du théâtre Raymond Devos de Tourcoing © Highres

 

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