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Tutuguri de Wolfgang Rihm rencontre Artaud à la Philharmonie

Véritable rite de passage, Tutuguri de trouve une impressionnante vigueur à la Philharmonie de Paris grâce à l' renforcé de l', tous sous la direction de .


Composé pour une commande du Deutsche Oper Berlin il y a maintenant quarante ans, Tutuguri de Rihm prend appuie sur le poème éponyme d'Antonin Artaud, sans que le texte ne soit jamais récité. De près de deux heures, ce poème dansé pour récitant, chœur sur bande et orchestre tient en deux parties et quatre tableaux, pendant lesquels la prédominance est laissée aux percussions.

Repris à la Philharmonie de Paris sans chorégraphie, l'ouvrage trouve une ampleur particulière dans la grande salle, idéale pour libérer les intenses moments rituels, notamment ceux des peaux martelées, comme dès la cinquième minute, en plein contraste avec l'introduction à l'orchestre. Introduit par la flûte solo, la matière de l'œuvre, d'abord inspirée du texte autour du trou noir, se développe par les interventions successives relativement courtes de quelques instruments ou groupes, relevés parfois par les brefs accents du piano.

Puis le poème se développe au second tableau, des parties figurées du texte de La danse noire et rouge au Cheval, sans que l'on ne puisse jamais véritablement accoler d'image à des instants musicaux précis. Bien agencés par , les musiciens de l' et de l' parviennent à maintenir la tension dans la salle pendant les deux heures de l'œuvre, ce qui est inhabituel pour ce type d'ouvrage complexe. De ce matériau brut, renforcé par les interventions impénétrables d'un chœur enregistré, diffusées par haut-parleur, ressort le bloc de percussions.

En plus d'être chacun devant un ensemble de peaux – trois groupes de tambours, deux de timbales et deux de tam-tam –, la plupart des percussionnistes, impressionnants de rigueur rythmique et de vigueur toute la soirée, possèdent également des cloches, gongs, marteaux et plaques métalliques afin d'appuyer toujours l'ensemble orchestral. Le troisième tableau, en parallèle à la Danse Peyolt, débute avec les spatules des percussionnistes grattées sur des bois d'un rythme de plus en plus effréné, pour tendre ensuite vers un style qui n'est pas sans rappeler Stravinsky, tout en présentant encore plus de sons bruts, à l'instar de certaines pièces sud-américaines, dont celles de Ginastera ou Revueltas.


Mais surtout, l'œuvre maintient particulièrement le caractère brutal et animal des grands rites ancestraux, tout en s'accordant à la dynamique moderne d'un compositeur alors en pleine maturité, déjà auteur de l'opéra Jacob Lenz quelques années auparavant. À l'ensemble de musiciens et au chœur enregistré s'ajoute la superbe intervention du récitant , dont l'entrée brusque par la coulisse est particulièrement marquante. Arrivé au pas de course sur le devant de la scène, il se met à observer d'un regard noir l'assemblée et le chef, puis à hurler ses cris aux paroles insondables.

Tout juste deux mois après Donnerstag aus Licht de Stockhausen, la Grande Salle Pierre Boulez de la Philharmonie remontre avec Tutuguri de Rihm toutes ses qualités pour y interpréter les grandes fresques de la musique moderne.

Crédits photographiques © Quentin Chevrier

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