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Dissonances russes à la Philharmonie de Paris

Avec les deux Concertos pour violon de Prokofiev et la Symphonie n° 9 de Chostakovitch, grave une nouvelle page, éclatante, dans l'histoire des Dissonances.

Chaque concert des Dissonances est toujours un peu plus qu'un concert tant s'ajoute à la qualité musicale indiscutable de l'exécution, une sorte d'égrégore entre musiciens et public, court moment d'éternité jamais démenti depuis la création de l'orchestre en 2004.

En présence de Madame Bachelot, ministre de la Culture, débute le concert avec le Concerto n°1 pour violon et orchestre de (1917) dont soliste et l'orchestre donnent une interprétation aussi éclatante que symbiotique, toute entière portée par le plaisir de jouer. On apprécie le lyrisme du violon, son legato dans le premier mouvement ; la rigueur de la mise en place, la cohésion rythmique, l'âpreté du jeu sul ponticello du violon et les fulgurances de la petite harmonie dans le second ; la belle cantilène, teintée d'inquiétude (tuba, basson) et de mystère (harpe) dans le troisième.

Joué dans la foulée, le Concerto pour violon n° 2 (1935) fait une plus large place à l'orchestre avec un Allegro moderato initial développant un thème méditatif au violon avant qu'un dialogue fourni et virtuose ne s'installe avec l'orchestre (cordes graves, cor, petite harmonie) ; amorcé par des notes piquées à la clarinette et les pizzicati des cordes, l'Andante laisse la parole au soliste dans une mélodie éthérée chargée d'émotion, magnifiée par de nombreuses nuances fantomatiques, avant que l'Allegro final ne dresse un portrait en creux du compositeur en associant dans une effervescence mordante dissonances, force contrastes, dynamique envoûtante et virtuosité diabolique, au rythme des castagnettes comme un dernier regard vers l'Occident que Prokofiev quittera bientôt pour ne plus jamais le revoir… Un extrait de la Sonate pour deux violons (1932) du même Prokofiev jouée avec Maria Marica, violoniste de l'orchestre, conclut cette première partie de jolie manière.

La seconde partie est dévolue entièrement à la Symphonie n° 9 de (1945). Là encore impressionnent par leur cohésion, par leur allant et par leur justesse de ton. Alliant précision et clarté dans l'agencement des plans sonores, transparence de la texture malgré le grand effectif et des performances solistiques superlatives, et ses amis nous en livrent une lecture immédiatement convaincante. Loin de l'hommage à Staline attendu après la victoire des troupes soviétiques, Chostakovitch, à rebours, compose une œuvre ambiguë faite de sarcasmes et de légèreté, oscillant en permanence entre ombre et lumière, entre joie et affliction. Le premier mouvement Allegro donne le ton : clair par sa ligne mélodique, mais aussi chargé d'ironie et de grotesque dans les appels de trombone, les saillies du piccolo et la dérisoire gravité des roulements de tambour. Le second mouvement Moderato déroule ensuite son chant fantomatique à la clarinette auquel se joignent bientôt des cordes lancinantes laissant émerger au sein de la désespérance les traits du hautbois et du piccolo comme un restant d'humanité qui refuse de s'éteindre. Les trois derniers mouvements sont ensuite joués d'un seul tenant avec beaucoup de relief et de couleurs, enchainant différents climats tour à tour violents (cordes), affligés (cuivres), funèbre (basson et cordes graves), sarcastiques (bois) ou circassiens (tutti et percussions) dans une succession typiquement chostakovitchienne.

Un beau concert vraiment, et une longue, très longue, ovation du public, largement justifiée.

Crédit photographique : © Benoit Linéro

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