Expéditivement rebaptisé Viva la Mamma!, le dramma giocoso composé par Gaetano Donizetti entre Anna Bolena et L'Elixir d'amour s'impose dans un DVD de tous les talents.
C'est l'histoire de l'envers du décor. C'est l'histoire d'un théâtre disparu. C'est une des productions-phares de l'ère Dorny à l'Opéra de Lyon. C'est même à nos yeux la plus parfaite réussite de Laurent Pelly.
Un Dramma giocoso : le metteur en scène n'avait encore jamais à ce point voilé de mélancolie ses machines à rire. À l'instar de Donizetti qui, à mi-parcours de son imposant œuvre opératique (plus de 70 opus), savait de quoi il allait parler quand il mit (en un acte en 1827) et remit sur le métier (en deux en 1831) son opéra sur l'opéra (les coulisses des préparatifs du très seria Romolo ed Ersilia), Laurent Pelly a de la matière à revendre pour nourrir la mise en scène commandée par l'Opéra de Lyon pour sa saison 2016-2017, de Le Convienenze ed inconvenienze teatrali (Conventions et inconvenances théâtrales).
Dès la première image, on goûte cette hilarante entreprise de dézingage des egos lyriques. Mais, et c'est ce qui fait la marque des spectacles mémorables, pour la première fois peut-être (plus encore que dans son remarquable Béatrice et Bénédict pour Glyndebourne), Pelly réussit également le passage à l'émotion pure en mettant en scène l'engloutissement d'un monde : attaqué par des marteaux-piqueurs sans états d'âme, un théâtre se métamorphose en parking. L'horreur !
La captation, en tous points miraculeuse, rend justice au magnifique décor transformiste de Chantal Thomas, capable de passer de la brutalité marchande d'un parking à la poésie d'un paradis de théâtre à l'italienne en sursis, dont le fond de scène se fissure pour un ultime passage dans l'au-delà esthétique. Rien n'échappe à l'œil de Vincent Massip des lumières tamisées de Joël Adam comme du jeu très fouillé de chacun des protagonistes, visiblement ravis de caricaturer l'art de leur vie : Patrizia Ciofi, flamboyante parodie de concentré de diva ; Enea Scala à l'italianité percutante, confit de raideur en ténor platine ; Charles Rice, baryton déchaîné en Procolo et as du second degré ; Pietro Di Bianco croquant joliment les traits du compositeur dépassé (Biscroma Strappaviscere alias Arracheur de triple-croches !) ; Enric Martínez-Castignani en poète-librettiste, Piotr Micinski en impresario, Dominique Beneforti en directeur de théâtre et Katherine Aitken piquante dans le travesti de Pippetto, ont beaucoup de relief. Tous s'amusent autant que Laurent Naouri, sensationnelle Mamma Agata dont les courbes généreuses et la robe à fleurs veillent sur la Luigia accomplie de Clara Meloni. Chœur d'hommes et figuration sont taillés au millimètre. Élégamment costumée par son metteur en scène, la pétulante troupe est veillée jusqu'au délire par les attentions d'un Lorenzo Viotti également prêt à toutes les fantaisies, à la tête d'un remarquable Orchestre de l'Opéra national de Lyon.
Ce DVD à la présentation spartiate est un régal pour petits et grands, amoureux ou non d'Ariane à Naxos, de Capriccio, du Schauspieldirektor, du finale du Songe d'une nuit d'été, trop rares incursions lyriques dans l'envers (l'enfer ?) du décor d'un art que l'on espère loin de succomber sous les assauts des marteaux-piqueurs de l'Histoire.