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Eine Winterreise à Bâle : Anne Sofie von Otter réincarne Schubert

et reviennent hanter le Theater Basel. met en scène cette rencontre au sommet.


Dans les années 80, fit à l'Opéra de Bâle des débuts retentissants. La cantatrice y incarnait avec une fougue juvénile galvanisante des Chérubin, des Idamante, des Sesto qui l'accompagnent encore lorsque, vêtue d'un ample manteau gris, elle franchit à pas comptés la porte de la superbe salle de bal désaffectée du décor lambrissé de Herbert Muraurer. C'est dans ce lieu d'un temps révolu que convoque les fondamentaux schubertiens du voyage, de la solitude, du souvenir, de l'angoisse de la mort.

Le personnage incarné par la cantatrice est un homme de plus dans sa longue carrière. Il se prénomme Er (lui) : Er, c'est Schubert soi-même, ou plutôt son âme, invitée à errer, au son d'un Hammerflügel, entre trois personnages : le compositeur jeune (le comédien Nicolas Franciscus, idéalement gauche et naturel), son double (le danseur Kristian Alm, parfait mélange de séduction toxique), une jeune fille prénommée Viola (Giulia Tornarolli, toute de fraîcheur apaisante). Un violoniste fera aussi deux apparitions. Manque à l'appel, ce soir, une Courtisane, absente du spectacle pour cause de test positif. Une absence qui laisse une place providentielle à la relation du jeune Schubert avec son Doppelgänger, ce Franz von Schober, poète du sublime An die Musik, librettiste d'Alfonso und Estrella, ami intime du compositeur, qu'il hébergea à plusieurs reprises. Franz von Schober, à la si troublante quasi-homonymie, que quelques sources rendent responsable de la terrible maladie qui épuisa le compositeur disparu à 31 ans.

Le spectacle conçu par snobe les surtitres, et demande beaucoup à son spectateur. Préférant de toute évidence diriger le regard sur l'humain, le geste toujours millimétré du metteur en scène captive même quand il se laisse aller à quelques effets trop vus ailleurs (les chaises que l'on renverse !). Les clairs-obscurs de Roland Edrich veillent sur ce psychodrame à trois. La lumière, née de l'obscurité, la regagne à la fin après qu'en une shakespearienne pirouette invitant le spectateur à conclure par lui-même ce récital de vingt-quatre pièces, la cantatrice a malicieusement tourné l'interrupteur. Juste avant, le hall éblouissant de l'arrière-plan du décor a fait place à la blancheur immaculée d'un paysage d'hiver planté d'un arbre décharné arraché à une toile de Caspar David Friedrich, tandis que quelques flocons ont même chuté par la verrière aux carreaux manquants, sur le parquet de la salle de bal.


Autre exigence de cette soirée sous-titrée Ein Abend : il ne s'agit pas, comme son intitulé l'indique, du Voyage d'hiver mais d'Un Voyage d'hiver, celui dont Loy et von Otter ont convenu, après avoir constaté que le compositeur lui-même n'avait tout d'abord composé que douze Lieder. Du cycle ils ne conservent que six des vingt-quatre numéros. On n'entend pas le célèbre Gute Nacht, qui aurait pu idéalement clore la soirée, remplacé par les Gute Nacht qui closent Des Baches Wiegenlied. Le Schwanengesang fournit trois pièces, Die Schöne Müllerin un seul. Le Moment Musical n° 3, deux mouvements de sonates, deux Galops, une Fantaisie, quelques textes parlés aèrent ce récital déguisé de quatorze titres.

s'était assez peu confrontée à Schubert. Elle reprend ce soir le très développé Viola qu'elle enregistra pour DG (1999). Une pièce qui convient bien aujourd'hui encore à une voix gérée avec un art consommé, rehaussé, entre sourires et larmes, d'une bienveillance scénique assez étreignante. La ligne vocale est auréolée d'un léger voile en rien rédhibitoire dans le répertoire élu ce soir. L'aigu, devenu plus étroit, se libère au fil du voyage, jusqu'à un Des Baches Wiegenlied d'une prégnante assise. Diseuse toujours impériale, adepte du second degré, disciple de la juste distance, elle détaille avec gourmandise les sortilèges mélodiques d'Auf dem Flusse et de Die Taubenpost. C'était lui et personne d'autre ! », a déclaré la cantatrice) enfonce le clou de ce voyage forcément mélancolique en ressuscitant le son lui aussi disparu des pianos forte. Armé d'un usage aussi savant que discret du rubato, faisant chanter chaque ligne, il est le Doppelgänger de luxe de la cantatrice facétieuse qui déclara il y a peu : « On peut chanter jusqu'au jour de sa mort si l'on fait les bons choix. »

Crédits photographiques : © Monika Rittershaus

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