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Exceptionnelle soirée avec Thomas Quasthoff et Semyon Bychkov à la Philharmonie Tchèque

Après Les Mystères du Temps de Kabeláč superbement condensés par l'acoustique du Rudolfinum, invite à magnifier une œuvre rare d'Ullmann avant d'emporter sa Philharmonie Tchèque dans la Symphonie n° 1 de Brahms.


Directeur musical de l' depuis 2018, a ouvert sa quatrième saison par une puissante Symphonie « Leningrad » de Chostakovitch et propose cet hiver un programme pour lequel nous n'avions pas escompté un tel niveau d'interprétation.

Mysterium času (Les Mystères du Temps) opus 31 est la pièce la plus célèbre de , bien qu'elle ne reste aujourd'hui interprétée que par des Tchèques, à l'instar de Jakub Hrůša récemment. Passacaille d'une vingtaine de minutes, elle se développe en six parties dans une atmosphère sombre et contemplative, parfaitement contenue par Bychkov, qui profite pour l'occasion de l'acoustique condensée du Rudolfinum et des magnifiques sonorités de sa formation. Initiée avec gravité, l'œuvre fût créé par le Philharmonique Tchèque et Karel Ančerl en 1957, puis rejouée par l'orchestre et le chef jusqu'à être gravée pour Supraphon dans une version de référence trois ans plus tard. À présent, la formation se veut moins tendue, mais n'en déploie pas moins majestueusement toute la songeuse concentration d'une œuvre dont la proximité stylistique avec les partitions russes de la même époque n'enlève rien à l'identité du compositeur tchèque, également très intéressant dans ses symphonies.

La deuxième pièce du programme permet de retrouver un baryton absent des scènes classiques depuis presque une décennie, , seulement réapparu pour des musiques crossover ou jazz. Il revient aujourd'hui pour prendre la partie de récitant de Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke de . Et là encore, la performance impressionne ! Car si l'ouvrage sur un texte de Rainer Maria Rilke connaît quelques bonnes captations, dont celle avec piano du maître de Quasthoff, Dietrich Fisher-Dieskau, ou celle de Gerd Albrecht avec déjà l'orchestre en présence, la qualité de ce concert les dépasse largement. Introduit par le baryton seul, la pièce qui décrit la mort du soldat Rilke pendant les guerres contre les Turcs en 1663 bénéficie ici de la voix chaude à la diction impeccable de Quasthoff. Puis l'ensemble débute par des cordes racées, tandis que le récitant marque par la netteté de ses « Reiten !» (Au galop!) dans une musique où le matériau annonce avec quarante ans d'avance le rock industriel allemand et les partitions modernes d'après-guerre. L'atmosphère se détend quelque peu dans les parties suivantes pour trouver un caractère plus romantique, toujours porté par la clarté du récit de Quasthoff et la direction soignée de Bychkov, avec des soli splendides de l'orchestre, à commencer par son premier violon, sa flûte et sa trompette solo.


Au retour d'entracte, la Symphonie n° 1 de Brahms ramène à un répertoire plus classique, mais garde par l'introduction une atmosphère sombre et méditative bien marquée par les coups du timbalier. L'exposition du thème maintient la qualité de la pulsation, cette fois par les pizzicati et la battue précise du chef, qui permet aux violons et altos ainsi qu'aux cuivres de s'exprimer, toujours dans la puissance du son. L'Andante développe un caractère altier bien contenu, tandis que le poco allegretto e grazioso met en avant non seulement la clarinette pour son long solo, mais aussi la précision du premier hautbois. Le finale, relié aux autres mouvements par une interprétation basée sur la maturité et la grande forme symphonique, retrouve le caractère sombre de la soirée ainsi qu'une pulsation évidente, deux éléments parfaitement traités par les contrebasses et les violoncelles, tandis que se démarque cette fois le cor solo.

Avec deux ouvrages rares, ce programme impressionne par son niveau d'excellence globale et met à nouveau en exergue la qualité de l'une des plus belles formations symphoniques du monde ainsi que son directeur musical, encore plus fascinants à entendre dans la fantastique acoustique de la salle pragoise.

Crédits Photographiques : © Petra Hajska

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