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Chants du Sud par l’Orchestre Victor Hugo : le plus beau des théâtres

Un magnifique voyage vers le Sud autour d'une création mondiale, avec . Ne manquait qu'un dépliant touristique.

Suivez le guide ! Ou plutôt les guides : , , , , plus une œuvre mystère. D'abord un guide méconnu que (fils de Jean Gabriel Prosper Marie, dit Gabriel-Marie, compositeur, critique et chef qui créa des œuvres de Debussy, Faure ou Chausson). Méconnus les cinq extraits de sa suite provençale Miréio. Inédites les deux mélodies composés sur des poèmes de Louis le Cardonnel (Mélancolies d'été, A un ménestrel). Des compositions d'une séduction sans histoire, la dernière enlaçant un thème (La jambe me fait mal) popularisé naguère par le groupe Malicorne.

L'attrait majeur de la soirée était la création mondiale de la première œuvre pour grand orchestre de . La Orilla del Mar (le bord de la mer) n'a pas déçu. Le compositeur (présent ce soir mais à sa place habituelle de hautboïste), après avoir constaté que son Orchestre Victor Hugo n'avait encore rien dédié au grand auteur éponyme, né à quelques pas du Théâtre Ledoux, s'est penché sur Choses vues, le recueil où l'écrivain milita en mots face aux événements de son temps. L'œil de y fut capté par un texte de 1842 qui décrivait le paradis perdu que son propre grand-père fut contraint de quitter en 1962. Écrite pour mezzo-soprano, la pièce, d'abord une sorte de Mer calme et heureux voyage, dépeint à merveille la découverte de la lumière algérienne. Sauf que le bateau qui accoste à Alger la Blanche ce jour-là charrie l'effroi : « c'était la civilisation qui arrivait à Alger sous la forme d'une guillotine. » La partition quitte alors sa séduction beethovénienne pour des fragrances bien contemporaines, la voix délaisse le chant soudain vacillant. La Orilla del mar a été composé pour , autre citoyenne de la vieille ville espagnole, et chanteuse dont l'on ne cesse de louer l'ensorcelante vocalité. fait des neuf minutes de La Orilla del mar un puissant moment de théâtre. L'on n'oubliera pas de sitôt le regard atone et vide qui éteint longuement son visage sur la très belle déploration venue sceller l'humanisme hugolien.

En préambule de ce coup de massue, celle qui est à l'heure actuelle la plus grande interprète des Troyens (Cassandre et Didon), aura fait des deux mélodies inédites de (incrustées au cœur des cinq numéros de Miréio), puis de quatre des vingt-six Chants d'Auvergne de (assez voisins stylistiquement) un mini-festival condensant, entre sensualité étouffante (somptueux Baïlero, gourmand Lo Fiolairé) et rouerie consommée (Lou Boussu), l'art autant scénique que vocal de la cantatrice.

Le plus beau des théâtres joué par la plus grande bête de scène ne peut cependant servir d'alibi au chiche insensé d'un feuillet-programme ne mentionnant pas plus les titres des Canteloube (réputés d'une minorité d'auditeurs) que le texte (pourtant bref) de Victor Hugo, programme au déroulé de surcroît bousculé par une annonce expéditive en bord de scène. Quant à l'œuvre mystère au menu, elle sera restée un mystère pour tout le monde, aucune explication n'étant venue conclure, comme escompté, une interprétation qui, comme on l'apprendra plus tard, avait été déprogrammée in extremis.

Le plus beau des théâtres, on le retrouve aussi, pour finir, avec l'interprétation bouleversante d'une quarantaine de minutes de L'Arlésienne dans sa version originale avec piano et formation réduite à trente-deux instrumentistes. Pas besoin de programme avec Eric Génovèse, 499e sociétaire de la Comédie-Française, et conteur hors-pair passant avec un art confondant d'un personnage à l'autre pour ne rien laisser perdre du drame de Frédéri et Vivette.

conduit le voyage d'un geste sec, sans pathos aucun, avec un beau sens du drame, des atmosphères, comme des enchaînements. Chacune des pièces élues exhibe la palette de couleurs de l'Orchestre Victor Hugo : envoûtement de la petite harmonie, éclat des cuivres, surlignages subtils du piano et de la harpe et même du tambour provençal, invité clandestin d'un soir intitulé Chants du Sud mais, comme tient à le dédier à l'Ukraine le chef en un nécessaire préambule : « avec le cœur tourné à l'Est. »

Crédits photographiques: © Mylène Haas – Orchestre Victor Hugo

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