- ResMusica - https://www.resmusica.com -

A Quiet Place de Bernstein à l’Opéra Garnier

Créée pour la première fois en version scénique, l'adaptation de A Quiet Place de Bernstein réalisée en 2013 par Sunderland bénéficie à l'Opéra Garnier d'une équipe artistique impeccable, pour un ouvrage qui reste néanmoins relativement terne.


Écrit trente ans après comme la suite de Trouble in Tahiti sur un livret de Stephen Wadsworth, présent aux saluts à Paris, A Quiet Place est le dernier ouvrage lyrique de . Après l'avoir créé en 1983 à Houston, avec en première partie l'ouvrage précité, il le remania pour intégrer directement comme des flash-backs de longs extraits du premier opéra ; cette version fût créée en 1986 au Staatsoper Wien, où l'on vit apparaître la structure définitive en trois actes. Bernstein mourut en 1990 sans avoir pu revenir à cette version, qui ne le convainquait pas, enregistrée pour Deutsche Grammophon. En 2009, c'est alors , assistant de Bernstein pendant la création, qui proposa à – lui aussi présent à Paris – de retoucher l'œuvre pour en retirer les extraits de l'opéra jazzy et la réorchestrer dans une version de chambre, finalisée pour dix-huit musiciens, contre au minimum soixante-douze auparavant.

Cette mouture définitive fût créée en concert par le chef en 2013 à Berlin, puis jouée l'année suivante avec son Orchestre Symphonique de Montréal, avant d'être enregistrée pour Decca en 2017. Elle est à présent créée scéniquement à l'Opéra de Paris, toujours sous la direction de , mais dans une orchestration à nouveau légèrement augmentée afin de remplir la grande salle de l'Opéra Garnier. La guitare électrique et le synthétiseur ont été écartés, mais il reste le clavecin, placé dans une loge de côté et qui ajoute ses propres effets de cordes sèches. Le chef maîtrise parfaitement le matériau symphonique ainsi que les équilibres, tant de l'Orchestre de l'Opéra national de Paris en fosse qu'avec les chanteurs sur scène ; malgré tout, la partition parait toujours quelque peu aride.


En réalité, l'ouvrage est bien moderne : il s'attèle à développer une situation familiale contemporaine à son époque de composition, un peu comme Richard Strauss avait réussi à proposer une vision neuve de l'opéra en composant Intermezzo, sans pour autant retrouver l'ampleur des matériaux musicaux mis en exergue dans ses chefs-d'œuvre précédents. Le même reproche peut alors être fait à A Quiet Place, qui tente d'évoquer une situation actuelle complexe, sans jamais effleurer ni par le livret, ni par la partition la puissance d'un ouvrage comme, par exemple, Trois Sœurs de Péter Eötvös. Finalement, on aurait gagné à retrouver en première partie le plus léger Trouble in Tahiti, plutôt qu'écouter uniquement cette pièce en trois actes enchaînés, pour à peine plus d'une heure trente de musique.

Une fois ces réserves émises, tout le reste fonctionne dans cette production parisienne, à commencer par la mise en scène sobre mais bien portée par les décors toujours aussi élégants de et les lumières de . Inspiré comme à son habitude par le cinéma, propose la scène liminaire de l'accident de Dinah en version Sin City, avec une vidéo de Kamil Polak en images de synthèse en noir et blanc, dont ne ressort que le rouge vif de la robe et du sang. Puis, on retrouve une atmosphère années 80 américaines avec une intégration du livret à l'année de sa composition, par les dates inscrites sous la photo de la morte et une scène d'enterrement qui rappelle les univers de Tarantino et Lynch. Fait aussi intéressant, Warlikowski donne de nombreux rôles à des chanteurs non blancs, trop rares sur les scènes d'Europe.


La distribution s'intègre parfaitement aux rôles et à la dramaturgie de Miron Hakenbeck, avec beaucoup de références homosexuelles et surtout une belle mise en avant de Bernstein, par l'un de ses cours audiovisuels autour de Tchaïkovski, compositeur cité juste après dans la partition symphonique. Passé l'accident, bien chanté derrière l'écran par les voix et le chœur préparés par , l'enterrement se voit porté par le Funeral Director très bien projeté de , auquel répond la vive Mrs Doc d'.

Puis, tout le monde entre en scène. La Susie lyrique d'Hélène Schneiderman se démarque d'abord, avant Dede, prévue pour Patricia Petibon et finalement redonnée à la soprano de l'enregistrement Decca, , excellente par son chant bien timbré autant que bien caractérisé sur le texte. livre un François alternant entre français et anglais, cependant peu appuyé sur les consonnes et qui laisse les deux premiers rôles masculins au Junior dynamique de et au père, Sam, porté par un impressionnant dès l'air introductif de l'acte II. Habillé comme Leonardo DiCaprio dans le récent film Don't Look Up, il permet à Warlikowski d'instiller par cette référence un parfum de fin du monde à cette crise familiale, mieux portée par les artistes en présence que par l'œuvre elle-même.

Crédits Photographiques : © Bernd Uhlig

(Visited 2 929 times, 1 visits today)